LETTRE DE RENÉ DEPESTRE à GÉRALD BLONCOURT
Le texte de la lettre de Depestre est à lire "dactylographiée" au-dessous pour ceux qui auraient des difficultés avec son écriture.
RENÉ DEPESTRE
Lézignan – 14 Février 2014
Monsieur Gérald Bloncourt
Paris
Cher Gérald,
Mille mercis de m’avoir fait parvenir ton livre : JOURNAL D’UN RÉVOLUTIONNAIRE, édité par Rodney St Éloi (mémoire d’Encirer). Aussitôt après l’avoir reçu, je me suis mis avec émotion à le lire. Je ne l’ai pas lâché jusqu’à la page 181. J’ai voulu immédiatement te transmettre mes impressions de lecture. J’ai appris de ta compagne Isabelle que tu étais absent de Paris. Tu auras donc cette lettre le lendemain de ton retour.
Bravo, cher Gérald, pour cette œuvre de maturité ! Avec une éclatante sobriété d’expression, tu as su donner à voir tout l’éclat de ton parcours existentiel. Le portrait que tu as tracé de ton père Yves, en chef des opérations de la deuxième guerre mondiale est une réussite totale. De même l’évocation de Sabine, sous la pluie d’Haïti… Ton livre est une fête de la mémoire blessée et guérie par une formidable joie de vivre. Ton amour pour Haïti éclate dans chaque mot, d’un bout à l’autre de ton somptueux récit.
En te lisant, j’ai pensé sans cesse à Hölderlin, qui invitait ses lecteurs à habiter poétiquement la terre. Tu m’as communiqué le mal au monde que tu habite poétiquement : « J’ai mal ai monde qui meurt. J’ai mal aux étoiles, au labeur, à la culture. J’ai mal à la littérature désuète. J’ai mal aux regards d’amour. J’ai mal à mes habitudes de vivre… » Tu as change en chef-d’œuvre le monde meurtrier que le vingtième siècle nous a fait en Haïti, et partout ailleurs sur notre merveilleuse planète.
Les Haïtiens peuvent être fiers de ta force d’écrivain, comme de tes autres immenses talents d’artiste. Je me réjouis d’avoir toujours préservé des intempéries de l’époque l’affection fraternelle que j’ai pour toi. Elle remonte aux jours de « La Ruche », à la fréquentation commune de jacques S. Alexis, à nos rencontres à Paris, à nos heureuses retrouvailles en 1978, à Antony, à nos souvenirs de Jacmel et de Port-au-Prince.
Je n’ai qu’une envie en ce moment : relire ton livre. Ton merveilleux récit fait du bien, parce qu’il a la vertu de réconcilier le lecteur avec la pluie de son enfance. Il nous met de la tendresse dans les mains pour faire face à la tragédie haïtienne sans fin, et à tous les autres malheurs que toi et moi, nous avons traversés de par le monde qu’on nous a fait…
Nos luttes, toutefois, n’auront pas été vaines. C’est un flambeau du tonnerre que tes bras merveilleux d’enfant d’Haïti et de France remettent à la flamme des nouvelles générations. De toute la vie que nous aimons, envers et contre tout, je salue ta parole, en souvenir de Jacques, de Sabine, de Noémie, de Tony, de Claude, en souvenir du stratège Yves Bloncourt qui nous aura appris à rester debout contre vents et marées de la barbarie.
Un abrazo profondément admiratif et affectueux.
Réné Depestre