PEUPLES DE GAUCHE - par Gérald Bloncourt
Préface d'Edgard MORIN
10 Mai 1981 : il y a 30 ans, la Gauche accède au pouvoir. Victoire du « Peuple de gauche » ou étape décisive d’une évolution où le peuple de gauche, cessant d’être le monde ouvrier, s’est dissout dans la mutation d’une société industrielle en société de services, où le Parti socialiste est devenu le parti des classes moyennes.
Gérald Bloncourt, né en Haïti en 1926 - expulsé vers la France en 1946 - livre son regard sur les années 70, à l’occasion de la parution de son livre de photos « Peuples de Gauche, 1972 – 1982 » chez François Bourin Editeur, introduit par un texte d’Edgar Morin : « Les redresseurs d’espérance ».
Pour Gérald Bloncourt, photographe engagé de toutes les luttes sociales depuis les années 50, cette décennie 70 est « pleine de contrastes et d’ambiguïté » par rapport au schéma simple de « la lutte des classes qui l’avait porté depuis sa jeunesse ».
« D’un côté, les luttes des femmes pour l’avortement, le Larzac, les Lip, le Chili, l’aspiration à l’autogestion, les manifestations antinucléaires.
De l’autre, la montée du chômage, les grands plans sociaux dans la sidérurgie, les mines, Usinor, Longwy… Le début de la liquidation des grandes concentrations ouvrières et d’une certaine culture ouvrière. »
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PEUPLES DE GAUCHE
Photographies de GERALD BLONCOURT
Paru en Avril 2011
chez François Bourin Editeur
Préface Edgar Morin
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Gérald Bloncourt
Né en 1926 en Haïti.
La gauche et la révolte en héritage
Un père guadeloupéen et une mère française, institutrice laïque au début du XXe siècle.
Un arrière grand-oncle communard, Melville Bloncourt ; un oncle Max ami d’Hô Chi Minh ; un autre Elie, président de la SFIO en zone occupée et fondateur du réseau de résistance Brutus ; un frère Tony, résistant, fusillé à 21 ans au Mont Valérien par les Allemands en mars 1942.
40 ans d’exil
Peintre et cofondateur du Centre d’Art à Port-au-Prince en 1944, le rôle de Gérald Bloncourt, leader du mouvement révolutionnaire des jeunes haïtiens en 1946, lui vaut une condamnation à mort, commuée en expulsion vers la France en 1946. Jusqu’à la chute Duvalier en 1986, il continuera à soutenir la lutte contre la dictature.
Militant communiste, journaliste-reporter photographe d’abord à « L’Humanité », puis à « L’Avant Garde », il devient rapidement indépendant, et photographie inlassablement les hommes en lutte « pour une vie meilleure ».
Il appartient à cette génération des photographes « humanistes », la rage en plus, la nostalgie en moins.
La photographie est pour lui plus qu’un métier… un combat.
« Toute mon œuvre, tout mon travail, tout le feu de ma vie, toute ma violence, je les ai mis dans une direction à laquelle je n'ai jamais faill, Dans cet Homme et dans son devenir.
Dans ses luttes, ses souffrances, ses petites joies modestes, pures, ces morceaux de sourire qu'on rencontre au coin des taudis, ces mains calleuses, émouvantes...
J'ai copié les milliers de visages de toutes les races, de toutes les joies, de toutes les peines. Des dockers du Havre, aux mineurs de Trieux, du métro aux gosses de mon quartier, de Moscou au Caucase des légendes, du métallo de Léningrad au Maître tapissier Lurçat, du Sahara aux tremblements de terre de l'Italie du Sud...
J'ai pris parti. Je ne suis pas un marchand de photographies. Je suis un franc-tireur de l'image au service de mon art et de ma création... ».
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INTERVIEW de Gérald BLONCOURT
« J’ai toujours voulu dire le monde et que mes images soient des « redresseurs d’espérance »
On fête les 30 ans du 10 mai 1981. Et pour beaucoup, cette date est celle de la Victoire de la Gauche, du peuple de gauche.
J’ai photographié la foule devant le Panthéon le 21 mai 1981. Mais pour moi, après cette grande fête, c’est le « commencement de la fin » des peuples de gauche, le début du triomphe de l’individualisme au détriment des grands élans collectifs
La décennie qui précède, les années 70, celle couverte par le livre, porte les signes annonciateurs de tout cela.
Pour moi, elle est pleine de contrastes, d’ambiguïtés, par rapport au schéma simple de la Lutte des classes qui m’avait porté depuis ma jeunesse et jusque dans les années 60.
D’un côté, on a des aspirations et mouvements et nouveaux, un certain héritage libertaire de 68 : les luttes des femmes pour l’avortement, le Larzac, les Lip, le Chili, l’aspiration à l’autogestion, aux 35 heures déjà, les manifestations antinucléaires à Flamanville, ….
On a toujours un mouvement vers la modernité. On ouvre le Centre Pompidou. Les gens aspirent à la consommation de masse, croient encore à l’ascension sociale… On est toujours dans l’idée de progrès des 30 glorieuses, où demain sera meilleur.
Mais de l’autre côté, à partir des années 75, c’est le début de la montée du chômage, les grands plans sociaux dans la sidérurgie, les mines..Usinor, Longwy… Le début de la liquidation des grandes concentrations ouvrières, et d’une certaine culture ouvrière.
Fin 1981, on a 2 millions de chômeurs. Et après les avancées de 1981 comme la retraite à 60 ans, puis les 35 heures… on n’a cessé d’assister jusqu’à aujourd’hui à un recul.
En 1972, j’ai 46 ans. En 82, j’en ai 56.
Je ne regarde plus le monde avec le même espoir et enthousiasme révolutionnaire que quand j’avais 20 ou 30 ans.
Dans les années 50-60, j’ai photographié avec passion, sans relâche, « la classe ouvrière », les bidonvilles, les migrants…. J’ai pris parti pour eux, j’ai voulu montrer la difficulté de leur vie, leur dignité. J’ai vécu avec eux, suis descendu au fond des mines avec les grévistes, j’ai passé presque tout Mai 68 chez Renault à Billancourt.
Dans l’exposition Peuples de Gauche, j’ai tenu à présenter quelques images de cette époque.
Dans les années 70, je suis davantage observateur de mouvements nouveaux, de jeunes à cheveux longs. Je suis moins partie prenante.
Mais je continue à vouloir dire le monde. Parmi les photographes de ma génération, beaucoup ont arrêté la photographie dite « sociale » quand leur monde a changé. Moi, je n’ai jamais abandonné l’idée que mon métier était de dire le monde.
Et même dans cette décennie 70, j’ai retrouvé de grands élans collectifs, comme au Portugal en mai 1974. Ce n’est pas dans le livre Peuples de gauche, mais cela a été un grand moment pour moi.
Si les années 70, et même l’après-10 mai 81, marquent le commencement du déclin des grandes espérances – « L’espérance est morte » dit Edgar Morin en préface du livre - , je crois que j’ai voulu tenir un créneau pour résister, « contre les forces déchaînées de la barbarie », comme dit Morin.
J’ai toujours voulu que mes images contribuent à être ce que Morin nomme « des redresseurs d’espérance ».
Propos recueillis par Isabelle Repiton
Reproduction autorisée avec mention de l’auteure de l’interview
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