RETOUR D'EXIL
RETOUR D’EXIL
Haïti
à Ludmilla et Morgane
Ce poème D’ANDRÉ LAUDE
un vent de soleil se lève
à GÉRALD BLONCOURT
Un homme
dans la violence du temps
dans la violence de la mémoire
épine au flanc d’un Christ vaudou
Un homme
de terre et d’eau
de grandes feuilles vertes et d’oiseaux
plus vastes que toutes les mers réunies
et la cuite de Baron Bravo.
Un homme qui fait langue
de tous bois
Au pays des Loas
et des longues nuits de tyrans
Un homme jeune coq
de foudre et de roc
frère de ma terre d’Oc
fouilleur de chaque semeur de merde
et de feu
La vie vaut bien qu’on la perde
un soir de pleine lune au coin d’un bois
alors qu’on traîne la savate en compagnie
d’un certain André Breton
sans domicile fixe et sans vraie profession
sinon celle d’orpailleur
au bord du fleuve cher à ce vieil Héraclite
Un homme qu’Éros prend au piège de ses filets
bleus
Un homme qui à l’image du Petit Poucet
sème ses yeux
de braise et de crucifix
le long du chemin des sans chemise
Un homme qui torse nu dans la forge du verbe
chante au milieu des étincelles
comme chante la sentinelle au rempart des Barbares
pour croire à sa part de ciel
Un homme fou de femmes fou d’alcools
de peintures pures
Un homme armé jusqu’aux dents de colère
parce qu’il y a du crime dans l’air
Un homme peau noire peau rouge un homme
qui danse avec les lucioles
les fusils des rebelles, les astres et les poissons
et le pollen
Un homme qui hurle « je hais » parce qu’il aime
plus que tout la grande marée noire, la jeune mariée, l’abeille
le sang dans les veines
de la grande forêt
Un homme très beau qui vieillit bien
comme le vin et l’espoir
Un homme en guerre — Guerre de dix mille ans —
Parce que vivre à genoux n’est pas vivre, parce que dans son corps à moitié
c’est tuer l’autre dans le désir
le délire des sens
un homme en partance par-delà les « mornes »
Vers le grand large
où gerbent la lune et la baleine
Un homme de ruines et d’opiniâtres renaissances
aux ongles de glaise
au front creusé par la fièvre corsaire
Un homme immense — une sorte de « nuage en pantalon »
Une chanson
à minuit à Port-au-Prince
un éclair de crabe
aux dures pinces
un gavroche caraïbe le tabac à la lèvre
qui défie les macoutes
Tout va bien la Poésie s’arc-boute
aux larmes des fragiles
Nul homme et lui moins que tout autre
est une île
A Pile ou face je joue Haïti glorieuse aurore
Je sais d’où je parle Je sais de quoi je cause
de la rose qui s’acharne à fleurir parmi nous les morts
mal enterrés aux quatre coins du pays
Paris le 16 Février 1991
André LAUDE
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ma ville retrouvée
J’ai retrouvé Port-au-Prince
dans le même sanglot où je l’avais quitté
J ‘ai retrouvé ma ville
ses détails géographiques
ses maisons centenaires
ses espaces citadins du centre
Seuls les abords ont démesurément grandi
gonflé comme le ventre d’un enfant malade
Immense bidonville aux tuiles-ferblancs-rouillés
à l’infini
visions dantesques d’un cauchemar quotidien
Le morne l’Hôpital est blessé
d’un triste amas de pauvres masures
Le Champs-de-Mars a des rides
et la misère cogne les visages d’enfants
matraque celui des femmes
et ferme ceux des hommes
Visages graves
sans sourire
inquiets
anxieux. ..
Port-au-Prince
mon Port-au-Prince
tu es fatigué
épuisé voûté
Mais ce sont pourtant
les odeurs de ma jeunesse
de mes espoirs
Tout ce que j’avais imaginé
je l’ai retrouvé
Tout ce que j’avais pensé
construit en moi
au travers des informations
venues du coeur de la terreur
et des luttes pour la liberté
je l’ai retrouvé
Qui a dit que je serais déçu
que je ne comprendrais pas
Vils colporteurs des défaites de l’amour!
Merde à eux
idéologues négatifs
traîtres aux déchirures de l’âme!
Oui
j’ai revu mon sol
ma patrie et ses arbres
Le premier à recevoir mon baiser
fût ce chêne au feuillage touffu
poussé là
à Delmas
Il a bougé dans le ciel
dès que je l’eus touché
et j’ai senti au fond de moi
que ses racine étaient miennes
J’ai compté les étoiles
puis j’ai cueilli une fleur
elle était jaune pâle
comme quelquefois le sourire de ma fille Ludmilla
aussi fragile que ses deux ans
J’ai parlé à un chien noir et maigre
qui a semblé me reconnaître
Mes pieds ont aimé cette terre
qui effaçait l’exil
J’ai mesuré l’ampleur de ce moment d’Histoire
Je sais bien qu’il est l’heure des défaites possibles
mais c’est tellement l’heure de la vraie Liberté
l’heure à tout faire par tous
pour sauver l’essentiel
l’heure responsable et grave
pour chacun d’entre nous...
En ce qui me concerne
j’ai remis ma vie à l’heure de ton destin
Port-au-Prince
ma ville retrouvée...
Port-au-Prince- Décembre 1986
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L’homme montagne
de Furçy la mémoire
L’après-midi était un jeudi de décembre
l’an quarante-et-un d’un exil achevé
Sous mes yeux étonnés et refusant d’y croire
le plateau de Furçy de lointaine mémoire
vibrait
à cogne-coeur
au fond de mon émoi
Au loin
Morne Bourrette sur la Selle adossé
massif décapé tondu chauve rasé
Effacées mes cascades!
Comment passe le temps qui réduit les grandeurs que le cœur a fait vastes ?
Mon Furçy de toujours
Mon doux Furçy d’amour
zébrant mon souvenir mesquinement réduit
dans ses vastes proportions
La chapelle était morte d’un cyclone rageur
la seconde née n’était pas sa vraie soeur
autre lit autre père autre temps
J’avais mal et pleurais
lorsque Tit-Jo surgit
l’ancêtre de mes rêves
Il était là le Nègre
chouqué sur ses racines
statue de mon passé
ayant doublé son siècle
avec ses cent-vingt ans
J’ai retrouvé Tit-Jo et mes premiers moments
La chapelle a sonné six coups
C’était l’heure d’un destin...
17 décembre 1986
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Jacmel
J’ai hurlé à la dixième étoile de ma mémoire
J’en ai quarante-et-une au front de mon exil
Soixante bien sonnées au comptes de mes rêves...
Gloire aux quatres saisons qui ont offert l’Automne
et la saison possible de te revoir un jour
Jacmel
Jacmel mon vrai berceau
mes jeunes pas et mes vertes années
Jacmel mon hibiscus mes couchers de soleil
mes plats de lune au goût de mes premiers émois
Jacmel
Jacmel-mes-cyclones engrossé de Gosseline
pisquettes cassaves et rorolis sucrés
tambours lointains des mornes
et balcons de dentelles
crochets en fer forgés
ayant signé chacun sa servitude utile
sur sa porte de bois
Jacmel-les-galeries et ses tôles ondulées
Jacmel au demi-siècle d’un enfant revenu
Où sont partis les miens?
La mort a fait son oeuvre
et parmi les vivants j’errais chez les fantômes...
Gloire à ces tendres accords qui sonnent dans 1’ oubli
Gloire à ces sons de cloches qui teintent dans le temps
Gloire au plus haut des cieux au prénom de mon père
Gloire à toi
Yves le grand
ressuscité aujourd’hui des cendres humides
de mes larmes
mon papa à cheval
qui fit de moi un arbre aux racines profondes
un arbre de demain que hante le passé...
Haïti. Décembre 1986
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Jour de l’an
1987 une date et l’infini comme autrefois pour étaler en mouvance bleu-vertes la blanche étincelance de l’écume obstinée le ressac inlassable gris berce ma mémoire la plage se fond à l’horizon l’air-libre-pur d’un monde scintillant point stellaire de l’espace horloge-galaxie de sable fin trace les pas du temps un à un effacés dans l’attente émouvante éprouvante d’être et de sur-exister
Qui a parlé d’automne de feuilles mortes et de pelles? qui a chanté l’hiver ses angoisses et le gel? minuté ses matins? assaisonné ses soirs? installé ses palaces? baladé ses touristes yankee aux ventres gros? fabriqué ses rencontres et ces dîner copieux?
hein?
Qui s’est permis d’évoquer le printemps ses bourgeons ses baisers et ses amours naissantes?
Il est une saison dans mon regard que je nomme Pays-terre-native-et-natale il est tonnerre du ciel cet an nouveau ravissant juvénile et j’aborde en tremblant de lumière ruisselant de larmes l’an 1 de mes espoirs l’an nouveau d’Haïti retrouvée
1er Janvier 1987- Cap Haïtien
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Pourquoi ?
Pourquoi
la bulle mousse
sous la rousse
couche
de ta bouche belle?
l’espoir tousse
glousse
sous la lune
je te pousse
te touche
t’écartèle
et te pèle
douce
la courge
rouge
bouge
et j’appelle
telle qu’elle
ma belle
pour lui dire
en délire
qu’elle se mire
dans la mire
acide
lucide
des rides
de mon front
Haïti- Décembre 1986
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à Sabine ma soeur d’étoiles...
J’ai trouvé ce soir
les clefs d’un sémaphore
pour guider mon voyage
aux sources de ma vie
J’ai trouvé ce soir
au doux silence enduit
de ta présence exquise
la trace de tes pas
J’ai suivi l’ombre
de mes yeux égarés
à la silhouette de ta voix
J’ai mûri le fruit
qu’en deux j’ai partagé
lorsque minuit sonna
Qu’il est des rêves étranges
que celui de tes doigts
qu’il est doux de sentir
un peu de ton émoi
La ville aboie par un chien affamé
des voix montent lointaines
et le cri d’un enfant meurtri
ce dimanche de décembre
désenvoûte mon songe
qui n’était que pour toi
Je sais qu’elles sont légions
de tristes solitudes
de morts prématurées
de souffrances amassées
et de désespérances
je sais qu’en plein enfer
sont ta lutte et la mienne
et que viendra demain..,
Port-au-Prince- un dimanche de décembre 1988
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pour toi que je n’ose nommer
Je reviendrai un jour
au-delà de toi-même
je te mettrai au front
un baiser
et pour capter ta joie
j’écarterai le calice
d’une fleur
je saurai bien ce temps
te dire avec pudeur
comment j’ai délivré
mon coeur
Il est temps de tendresse
temps d’aimer
tant je suis charmé
tant je suis bonheur
et nous ferons le tour
du monde
tour de taille
tourne fol
est mon espoir
Haïti-Décembre 19 8 6
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J’ai trouvé…
J’ai trouvé ce soir
les clefs d’un sémaphore
pour guider mon voyage
aux sources de ma vie
J’ai trouvé ce soir
au doux silence enduit
de ta présence exquise
la trace de tes pas
J’ai suivi l’ombre
de mes yeux égarés
à la silhouette de ta voix
J’ai mûri le fruit
qu’en deux j’ai partagé
lorsque minuit sonna
Qu’il est des rêves étranges
que celui de tes doigts
qu’il est doux de sentir
un peu de ton émoi
La ville aboie par un chien affamé
des voix montent lointaines
et le cri d’un enfant meurtri
ce dimanche de décembre
désenvoûte mon songe
qui n’était que pour toi
Je sais qu’elles sont légions
de tristes solitudes
de morts prématurées
de souffrances amassées
et de désespérances
je sais qu’en plein enfer
sont ta lutte et la mienne
et que viendra demain..,
Port-au-Prince- un dimanche de décembre 1988
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JE HURLE A LA LUTTE
Je hurle à la lutte ô mon pays ma terre-natale Saline-cicatrice bidonvilles-crucifiés de l’aube aux nuits fétides chiens efflan-qués affamés immondices désaffectées tôt ou tard dans l’obs-curité mensongère cogne ma mémoire sur les tôles- ondulées aux vibrations d’orage bave ma rage de gangrène infectée odeurs puantes de caniveaux de mort prématurée d’enfants vides aux regards- remords lancinantes accusations d’un monde qui s’accouple avec l’Absurde villes-fantômes aux frontières de l’oubli mornes décharnés fièvres circulantes des tap-taps engrossés de détresses humaines d’ici de là-bas et d’ailleurs de Delmas défoncé sans autre cause que la folie meurtrière de cons hallucinés Carrefour Bizoton crevant sous la
griffure empoisonnée d’une faim coriace permanente misère-vampire terreur des ruelles sans eau au goût de boue d’incertitudes gourdes aux lois du dollars piastres noires de crasse mains tendues et mendiantes au ventre plein d’un enfant à naître gousse d’ail des yeux implorant une aumône crevant l’incroyable l’insoutenable douleur de mon être angoissé toute ma rage ma colère se gorge de sève d’injustice vérole pour abattre la dysenterie des consciences ô mon pays d’azur palmes mornes écorces et racines mon doux pays d’amour mer bleue de tambour et d’espace pourquoi l’univers carcérales brûle-t-il tes vertus cancer d’injustice concert de détresse comment ne pas rugir et se battre ô mon peuple affamé pilé comme maïs pillé spolié écrasé torturé je donne mon baiser aux luttes populaires au Parti Soleil de Roumain d’Alexis de tous ceux aujourd’hui debout de tous ceux aujourd’hui mes frères aube certitude du matin à venir pour enrayer la mort je hurle à la nuit aux luttes décisives rassemblant la meute de tous les combattants je possède la force des convictions profondes et raisonnables je connais les sentiers raccourcis qui mènent du Bassin-Bleu de mes rêves à l’eau de pluie l’eau des puits et des
fontaines l’eau pour boire l’eau goutte de rosée à l’eau claire de notre délivrance oui je connais les résonances ultimes et sourdes de mon peuple je connais les cachettes de ses espoirs les marelles de son enfance et les lagos agiles aux quatre coins de ses points cardinaux oui je sais les palmiers et les lianes je sais le pois-congo et le diriz-diondion les marigots et les ravines les cirouelles et le choux- palmiste je connais les rigoles et les lampes à pétrole je connais l’odeur chaudes des cassaves le piment-doux du rire l’akassan du matin je connais d’étranges filles dont les mots allumés vont porter nos demains oui je sais tous les miens médecins peintres et chômeurs qui ont bâti au coeur de tous les bayahondes notre espoir commun je hurle à l’émeute de nos âmes je hurle à la découverte du bonheur je hurle à mort l’injustice je hurle pour le pain la liberté les généreux possibles je hurle enfin et toujours à la lutte pour récolter l’amour.
Port-au-Prince- Décembre 1986