GERALD BLONCOURT, LA VIE TOUJOURS LA VIE

Publié par bloncourt

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Gérald Bloncourt, la vie toujours la vie

 

par Angelo Destin

 

…Plus encore que la beauté, la jeunesse m’attire, et d’un irrésistible attrait. Je crois que la vérité est en elle ; je crois qu’elle a toujours raison contre nous. Je crois que, loin de chercher à l’instruire, c’est d’elle que nous les ainés, devons chercher l’instruction. Et je sais bien que la jeunesse est capable d’erreurs ; je sais que notre rôle à nous est de la prévenir de notre mieux ; mais je crois que souvent, en voulant préserver la jeunesse on l’empêche. Je crois que chaque génération nouvelle arrive chargée d’un message et qu’elle le doit délivrer ; notre rôle est d’aider à cette délivrance. Je crois que ce qu’on appelle « expérience » n’est souvent que de la fatigue inavouée, de la résignation, du déboire.[1] A. Gide  

S’il vous arrive de rencontrer-dans un coin du 11ème arrondissement ; à la rue de la roquette ou du chemin vert « qui serpentent près de la Bastille »- un homme qui fait presqu’un mètre quatre-vingt et qui porte une casquette de marin breton  et peut-être sur le côté une fleur rouge et dont le « visage est illuminé d’un sourire », arrêtez-vous un peu, observez-le bien. C’est une légende vivante qui traverse la rue. C’est Gérald Bloncourt.

Il est des hommes qui ne trahissent pas leur jeunesse, ne se dégonflent pas, mais restent entier, fidèles à leurs vingt ans et Gérald Bloncourt est de ceux-là. De ces gens, comme nous dit Gide, qui ne renient pas la vérité qui était en eux pour se cramponner à une autre d’emprunt.

Né à Bainet le 4 novembre 1926 en Haïti, Gérald Bloncourt est peintre, graveur, photographe, écrivain au parcours singulier. Il est auteur de nombreux récits, d’essaies et de recueils de poèmes. Du haut de ses 80 ans, Gérald Bloncourt garde toute la chaleur débordante de la jeunesse qui illumine son visage, cette énergie juvénile dont il a le secret. Cet homme de conviction est « un poseur d’affiches, un distributeur de tracts, un passeur», comme il aime à se décrire. Son dernier récit Journal d’un révolutionnaire paru aux éditions Mémoire d’Encrier en octobre 2013 fait ici l’objet de notre propos. L’association Les Mardis du Petit Lectorat et la Librairie L’Acacia ont eu l’opportunité de présenter au local de ladite librairie une causerie avec l’auteur suivi d’une vente signature de son Journal d’un Révolutionnaire le 20 mai dernier.

Journal d’un révolutionnaire

Le récit s’ouvre avec la découverte du vieux continent. L’Europe. Paris post-occupation. La vie qui, petit à petit retrouve sa dignité. Le Havre et les plaies de la guerre. On est en 1947. Un jeune homme de vingt ans dont les yeux sont ivres d’espoir et les poches chargées de rêves comme des billes de toutes les couleurs croit dans un monde qui renaît de ses cendres. Quelques mois auparavant, il a été expulsé d’Haïti pour avoir eu le malheur de réclamer avec ses autres camarades un partage plus juste des richesses du pays en militant avec eux à ce qui, un peu plus tard s’appellera le parti communiste haïtien.

Loin d’être un journal, Le journal d’un révolutionnaire semble plutôt une synthèse d’une période de la vie de l’auteur dans laquelle se mêlent enfance heureuse, initiation idéologique, amour illuminé, barricades, révolution, guerre et exil. Le tout en seulement deux décennies. Entre 1926 et 1947. Il s’agit évidemment d’une première phase importante de la vie de l’auteur. Une période fondamentale où il aura façonné ses armes, sa personnalité aux côtés de Jacques Stephen Alexis, de René Depestre et d’autres camarades Haïtiens avec lesquels il a participé aux « Cinq Glorieuses », un mouvement populaire qui a occasionné la chute du président Elie Lescot à l’hiver 1946.

Outre les différentes tonalités du texte, allant du témoignage à la pure création littéraire sinon un mélange indissociable des deux, c’est également un livre-archive constitué de nombreuses photographies, d’articles, d’aquarelles, de gravures et dessins de l’auteur et d’autres documents d’archive. Si le livre parle de l’engagement de l’auteur, de ses vœux d’être acteur dans le processus ayant pour but l’avènement d’une société plus équilibrée qui réduirait l’écart entre riches et pauvres, il reste avant tout une composition littéraire bien agrémentée de poésie qui raconte la vie dans toute sa splendeur et ses revers. Une œuvre qui se dresse sur un fond où se succèdent événements politiques nationaux et internationaux sans flétrir le style et la sensibilité de l’auteur à la fois en tant que militant mais surtout en tant qu’humain agissant avec du recul critique. Le journal d’un révolutionnaire propose, sans sombrer dans le vil exercice d’élucubration d’une bonne petite conscience bourgeoise, une conception des rapports humains loin d’être manichéens. En cela le titre et la couverture du livre, laquelle proche de la propagande, desservent l’œuvre. Ce qui est tout à fait compréhensible si l’on vient à considérer un livre comme un objet résultant de travaux de plusieurs acteurs dont parfois les objectifs divergent. A la page 65, dans un seul élan, l’auteur raconte l’épisode du cavalier (son père) pris au piège par la montée de la rivière Moreau à la tombée de la nuit. Le lecteur est plongé dans un paysage pittoresque, se retrouve à la frontière de l’émerveillement et la peur. La peur d’être emporté par les flots, ce qui donne lieu au sublime puisque le lecteur est hors de danger tout comme le spectateur devant une toile de Turner ou de Friedrich. Bloncourt évoque le Bainet de sa naissance, de ses premiers pas, ce paysage tropical radieux qui sait aussi faire place aux pleurs. Lorsque le lecteur Haïtien lit ce passage, il ne peut s’empêcher de se rappeler les innombrables cataclysmes naturels qui ont ravagé son pays. Cette partie du texte fait aussi penser à Sen Jan de Felix Morisseau Leroy, un maître de la littérature haïtienne d’expression créole, vulgarisé par le conteur Chelson Ermoza. C’est la mémoire qui s’impose à Gérald pour décrire cette scène dit-il, comme quoi « on ne cherche pas la nostalgie, c’est elle qui nous retrouve sur les chemins poudrés de la mémoire »[2]. Voilà, en effet ce qui lie les exilés, les déracinés et les voyageurs d’aube. Le livre est salué par René Depestre dans une lettre qu’il a adressée à son ancien compagnon de route le 14 février 2014 :

Ton livre est une fête de la mémoire blessée et guérie par une formidable joie de vivre. Ton amour pour Haïti éclate dans chaque mot, d’un bout à l’autre de ton somptueux récit.

Le livre se termine par un flambeau tendu à la jeunesse (haïtienne) pour prendre la relève.

A vous de reprendre le flambeau, jeunes générations. Je souhaite que vous n’échouiez pas à votre tour…

N’est-ce pas que la jeunesse est l’âme d’un pays ? Dans La belle amour humaine Lyonel Trouillot s’interroge sur l’usage que chacun devrait faire de sa présence au monde ; ne pourrait-on pas considérer Gérald Bloncourt comme un exemple parmi d’autres? N’a-t-il pas fait preuve de clairvoyance en prônant que la lutte sociale est une lutte dont l’éthique est intergénérationnelle ? Dans tous les cas Gérald Bloncourt aura assumé beaucoup d’humanité comme en témoigne son parcours de fauve incrédule jamais apprivoisé.

 

     Angelo Destin

20 août 2014

 


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[1] André Gide, Journal, une anthologie (1889-1949), Gallimard, Paris, 2012, p.217

[2] Dany LAFERRIERE, l’Art presque perdu de ne rien faire, Grasset, Paris, septembre 2014, p.30

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