TEXTES SUR Gérald BLONCOURT
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Yves CHEMLA (Chroniqueur littéraire)
Un des rares héros
de notre siècle
Gérald Bloncourt est né en 1926 à Bainet (Haïti), près de Jacmel, d’une mère française et d’un père guadeloupéen, ancien combattant de la première guerre mondiale, épouvantablement blessé, comme son frère, Élie Bloncourt, rendu aveugle par une rafale reçue en plein visage, qui sera député de l’Aisne (en 1936 et 1945), et grand résistant (Libération-Nord).
C’est à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, où la famille est installée depuis 1936 que Gérald Bloncourt rencontre Dewitt Peters, un enseignant d’anglais étatsunien , avec qui il fondera, en 1944, le Centre d’Art Haïtien, point de départ de l’extraordinaire floraison de la peinture haïtienne, mais aussi ceux qui constitueront le premier cercle de ses amis : l’écrivain et révolutionnaire Jacques-Stephen Alexis, Georges Beaufils, le poète René Depestre et Gérard Chenet.
Cette famille résolument engagée dans la lutte contre les fascismes verra avec douleur disparaître un fils qui vivait en France, Tony, fusillé au Mont-Valérien en 1942, pour fait de résistance (http:// www.resistance-ftpf.net/pages/bloncourt.html ).
En 1946, acteur de premier plan des « 5 glorieuses », la révolution qui mit fin au régime impopulaire du président Lescot, il est néanmoins condamné à mort, et ne doit son salut qu’à l’exil, et à une intervention d’André Breton. Il s’établit à Paris, où il devient reporter-photographe pour la presse de gauche, couvrant la plupart des mouvements sociaux entre 1949 et 1986, tout en demeurant un membre actif de la lutte contre les Duvalier. Depuis cette date, il publie des recueils de poèmes en plaquettes, mais aussi revient à plusieurs reprises sur sa carrière, ses rencontres, ses amitiés, tant du point de vue de l’histoire de la peinture haïtienne que sur le récit de ses engagements.
Bloncourt est au carrefour de plusieurs vies, qui nourrissent une oeuvre qui ne vaut pas seulement comme témoignage : il est ouvrier, typographe-linotypiste, peintre, dessinateur photo-graphe, poète, homme politique, essayiste, et voyageur. Il est aussi un exilé, le plus ancien de la diaspora haïtienne, et un repère pour les partis de la gauche haïtienne, toujours en prise directe sur les événements qui secouent le pays lointain. Exilé, il l’est également en tant qu’homme de force vice, qui fait sa place dans un pays exsangue en 1946, comme il le constate dès la descente de bateau : « Le Havre était en ruine. Il n’y avait plus un seul morceau de bois ou de poutre dans les décombres. L’hiver avait été rude ». Rapidement installé, prenant contact avec les quelques cercles antillais qui se remettent en action dans la capitale, ainsi qu’avec le Parti Communiste –la rencontre est houleuse, il devient un témoin privilégié des luttes populaires qui secouent le pays. Un épisode particulièrement intéressant est raconté dans Le Regard engagé, sa rencontre avec Hô Chi Minh, dans les premiers mois de son arrivée à Paris. Bloncourt semble faire sienne cette double exigence du vieux leader : l’attention et le soutien aux luttes des décolonisations, comme aux luttes populaires et syndicales de la classe ouvrière, en France.
À ce titre, il est un observateur et un témoin engagé de ces luttes, dont l’empreinte est précieuse, tant les changements qui ont affecté les sociétés européennes paraissent irrévocables.
Ainsi, ses clichés (près de 200 000), qu’il numérise progressivement, et que l’on peut voir en partie sur son site, mettent en scène cette mémoire, prêtant attention d’abord à la poésie du quotidien : « Je ne sépare point la poésie de l’information, et le respect d’autrui de la façon d’informer, de la responsabilité des images et de l’événement que nous avons pour charge de décrire ». Les légendes de ces photographies disent constamment ce souci, qui est celui de la dignité de l’autre, ainsi que le montre l’ouvrage publié en 2004, Les Prolos. Le carreau de la mine, l’attente des familles, les bidonvilles, les habitats urbains en déshérence, les grèves, les survivants au milieu des catastrophes naturelles, l’hiver 1954, les luttes du Front Polisario, les centaines de visages d’enfants, mais aussi des personnalités plus connues, deviennent autant de traces de mémoires occultées, et que le spectateur engagé fait réapparaître à partir de 1986, dans un souci de rappel à la conscience. Il dit aussi dans ses récits le lent effondrement, de l’intérieur, de l’appareil du parti Communiste Français, et son témoignage vaut à bien des égards pour ses dimensions existentielles. Il dit surtout dans cet effondrement du temps, le vieillissement prématuré de nos sociétés, dévorées par l’avidité pathologique dsurconsommatione la richesse, comme la sécheresse et les béances que creusent en nous la .
C’est aussi cette année-là qu’il rentre en Haïti, après le long exil, et la chute de la maison Duvalier. Il trouve un pays à la fois enclavé dans ses vieilles luttes de faction, et sa misère incommensurable. Il faut le soutenir, apporter de la substance aux écoles : il crée un comité, dirigé aussi par Jean-Pierre Faye et Jean Métellus, qui sera porteur en France d’un sursaut des consciences. Un million de livres scolaires sont ainsi envoyés.
C’est aussi le moment d’un échange d’écritures avec une jeune femme, Sabine, qui vit, elle, à Portau-Prince. Le Dialogue au bout des vagues, ce chant partagé, dit aussi l’étreinte peu à peu impossible, malgré l’amour éperdu pour un pays de « fantômes en lisière », mais où pourtant la présence de l’autre se restreint immanquablement à « une fissure ouverte / sur ma parole souffrée ». Cette douleur se tait, mais sait aussi se réveiller à la faveur des catastrophes qui s’abattent sur le pays désormais si lointain. C’est en 2007 qu’il co-publie, avec le philosophe franco-brésilien Michaël Löwy un essai sur la révolution de 1946, Messagers de la Tempête, apportant un éclairage décisif sur les événements, et sur leur déroulement, notamment la part prise dans le déclenchement par la parole des poètes, Jacques Roumain, certes, mais aussi Césaire, et Breton, présent à ce moment, et qui dans une conférence historique expliquera à des jeunes gens, René Depestre, Jacques-Stephen Alexis, Gérard Chenet et Gérald Bloncourt, « les aspirations émancipatrices du surréalisme ». En 2009, Gérald Bloncourt est un des rares témoins et porteur de cette parole, qui l’a pourtant amputé de son pays natal.
Cette vie, ces écrits, les livres sur la peinture, les peintures ellesmêmes, disent l’énergie et la vitalité d’un homme debout, à la voix de guetteur, en qui se rejoignent la poésie et l’action. Dans ces temps où chaque jour qui passe voit mûrir 3000 chômeurs de plus, il est sans doute important de revenir sur des années pas si lointaines, et de regarder en face ces visages recueillis par le photographe, et que nous pourrions bientôt retrouver au plus proche de nos existences. Les luttes qu’ils racontent, ces visages, pourraient bien aussi devenir les nôtres.
Yves CHEMLA
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Le photographe de mon enfance
Un jour, j’ai rencontré l’homme qui a photographié mon enfance. Il s’appelle Gérald Bloncourt. Il est né en Haïti et moi au Portugal. Nous vivons en France. Décidément, il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde.
C’est un moment rare que de mettre des images, des photos sur des souvenirs d’enfance toujours fuyants. Les photos viennent réveiller notre mémoire, la provoquer, la taquiner, lui donner des frissons. C’est un moment d’une nostalgie douce et réparatrice. Les ruptures s’estompent entre passé et présent. A ce moment-là, une histoire se reconstruit dans notre imaginaire. C’est notre histoire. A la lumière des photos, nous avons existé. Notre mémoire ne nous a pas trahis, les photos la réconfortent. A la lumière des photos, nous pouvons raconter à nos enfants comment c’était un bidonville avec la boue par terre. Ou les quais d’une gare parisienne un jour si froid de l’hiver 1965. Comment c’était « douce France, cher pays de mon enfance » sous la dictature de la « préfecture, service des étrangers ». A la lumière des photos de Gérald Bloncourt, j’ai retrouvé mon enfance en transit à Hendaye, débarquant à Austerlitz en direction d’un bidonville quelque part dans la banlieue, au pied d’une muraille d’immeubles et de tours. J’ai retrouvé les photos qui manquent à mon album de famille, à ma mémoire collective. Des milliers de gens en fuite traversent ces photos. J’y ai vu la violence qui est faite à ceux qui partent.
José Vieira
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Alain GUERIN (Journaliste-- Ecrivain) :
Homme blanc, ciel noir, rêve en grisaille-vous regardez une photographie... Homme gris, ciel gris, rêve dont le feu noir et blanc irradie les choses et l'espace-vous regardez une photographie de Gérald Bloncourt.
En son adolescence antillaise et révolutionnaire, Gérald Bloncourt a appris à tirer vite, à savoir instantanément dégainer son âme. En sa trentaine ouvrière, parisienne et militante, il a acquis l'art d'épauler juste, de toucher le coeur en visant la tête. En l'ordinaire des jours, dans la réalité quotidiennement pétrie, il a puisé les rouges rudiments d'un lyrisme de l'homme exact.
Sa topographie ? Celle où les pauvres yeux sont toujours plus grands que la riche ville qu'ils regardent. Sa géographie ? Celle des rues où l'océan palpite à la faveur des caniveaux d'enfants. Sa géométrie ? Celle de la vérité comme plus court chemin d'un homme à un autre.
Gérald BLONCOURT aime les mains et hait les paysages. S'il converse volontiers avec les lueurs de l'acier, le clair de lune ne lui dit rien. S'il emprisonne en un cliché le regard d'une femme amoureuse, c'est pour mieux l'arracher aux pièges de tout fard. S'il a parfois la tentation de considérer son téléobjectif comme une mitrailleuse et d'emplir ses poches de balles dum-dum, il sait très bien que le tamtam des images arrachées ou guettées mais toujours saisies dans le vif d'un déclic, atteint plus sûrement l'exploiteur et résonne durablement dans l'entendement de l'exploité.
Gérald BLONCOURT le dit volontiers, des " luttes de classes et des événements qui en découlent, des conflits qui surviennent ", il entend tirer des " images qui, franchissant les limites de la reconstitution pure et simple, aboutissent à une sorte de recréation de la réalité ".
Et parce qu'il sait le poids de l'ombre, parce qu'il a tant suivi ses frères dans l'obscurité du matin, parce qu'il sait la noirceur de certaines minutes, Gérald Bloncourt s'interdit d'enfermer trop aisément le monde dans une chambre noire. Parce qu'il veille en sentinelle aux carrefours des foules quotidiennes, il sait photographier un sanglot. Et un silence aussi. Et une joie secrète.
Gérald BLONCOURT a un gros appétit d'être : la peinture, le cinéma, il y a longtemps que son zoom les a efficacement digérés et utilement assimilés. Mouvantes et profondes, ses photos commentent notre réalité. Appétit d'être et soif du monde...
Impossible synthèse ? Folle ambition pour un photographe ? Impossible Bloncourt ?
Mais regardez donc !
Alain GUERIN.
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Guy LORANT (Journaliste)
LA REVELATION DU QUOTIDIEN
Quand Gérald Bloncourt écrit pour se définir : "J'ai pris parti, je ne suis pas un marchand de photographies, je suis un franc-tireur de l'image", il procède, pour qui le connaît à un saisissant raccourci.
Né en Haïti, il avait à peine quatorze ans quand il s'est engagé pour la première fois dans l'action politique. Et quelle action ! Cinq ans plus tard, à l'issue des "Cinq glorieuses" qui secouèrent son pays et qui devaient aboutir à la chute d'un régime corrompu, il était condamné à mort par la junte contre-révolutionnaire qui allait ouvrir la voie à la dictature de Duvalier et de ses terribles tontons-macoutes. Finalement chassé de son sol natal, il arrivait en France en mai 1946.
Dès lors, il ne devait jamais faillir à l'engagement qu'il avait scellé encore adolescent. Qu'il s'agisse de ses activités professionnelles et artistiques ou de ses activités militantes, son existence allait être consacrée à la défense de ceux pour qui il n'avait pas hésité à risquer sa vie : les travailleurs - la photo elle-même ne constituant, à ses yeux, qu'un moyen de lutte parmi d'autres.
Bloncourt est avant tout le photographe des émotions humaines - plus précisément de celles qu'éprouvent ceux qui chaque jour sont conduit à produire, ceux qui chaque jour sont rejetés de la société. Le regard est à la fois attentif et incisif, l'écriture directe - pas de fioritures, pas moyens d'échapper au sujet cerné par l'objectif. Il n'a recours à son appareil que pour témoigner, donc, dans la plupart des cas, pour dénoncer. De là, le caractère souvent tragique de ses prises de vue. Mais aussi la noblesse qui habite la majorité de ses personnages. C'est que Bloncourt a trop le respect des thèmes qu'il traite, des hommes et des femmes qu'il aborde, pour ne pas s'effacer devant eux, et que la fraternité qui le lie aux autres le conduit, partout où il passe, à traquer avec d'autant plus de ténacité qu'elles sont davantage cachées, la grandeur et la dignité qui, pour lui, sont au coeur de tout être humain.
Comme la plupart des artistes, Bloncourt est un intuitif qui sait d'instinct le geste ou l'expression qui parlent. En témoigne sa manière de véhiculer l'espoir, la révolte ou la résignation. Le plus souvent maîtrisé, presque toujours pudique, le sentiment qui transparaît ne résulte pas d'une volonté artificielle, de quelque chose de plaquée, du désir de démontrer ; il passe tout entier par l'intermédiaire d'un visage, d'une main, d'une ride, d'un sourire, d'une attitude. C'est cela Bloncourt : une façon de faire voir, de faire approcher la richesse d'un quotidien généralement dissimulé sous un flot d'apparences ; le refus d'une photographie qui serait une fin en soi ou d'une technique qui ne serait utilisée que comme un moyen d'éblouir, c'est-à-dire au fond de tricher.
L'énorme pari de Bloncourt est bien là : nous faire pénétrer par l'image dans l'univers intérieur des plus déshérités, au sein d'un environnement fait, comme ses photos de gris et de noir d'où, à condition que l'on sache regarder, peut naître une forme de beauté autrement plus puissante que le clinquant artificiel des magazines.
Guy LORANT
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Juliette DARLE (Critique et poète)
Si la poésie est le battement même du coeur humain, Gérald BLONCOURT apparaît comme un grand poète de l'image.
Visages d'enfants à l'épreuve, pas solitaire du dernier habitant d'un village, regard d'Angéla... La profondeur du sentiment éclaire chaque détail de son reportage ininterrompu.
L'année dernière, il célébrait le cent cinquantième anniversaire de la photographie par un texte mémorable, itinéraire de créateur et profession de foi : "Tout le feu de ma vie, toute ma violence, je les ai mis dans une direction à laquelle je n'ai jamais failli."
Né en Haïti, il s'exprima d'abord par la gravure sur bois, I'aquarelle, la peinture. Son frère Tony fut l'un des résistants assassinés en 1942 au Mont Valérien. Gérald s'engage alors dans les Forces Françaises Libres, mais il est trop jeune pour partir. Ami des poètes haïtiens Jacques Stephen Alexis et René Depestre, il écrit et dessine pour la presse. Cette "salle d'exposition quotidienne, permanente, populaire". Ainsi s'intéresse-t-il à la photographie.
Cette jeunesse ardente, il fallait ici l'évoquer, car l'art de Bloncourt ne peut s'en séparer. Elle en est l'âme, la profonde lumière. L'idéal chevaleresque d'une adolescence qu'exaltait le sacrifice d'un frère la maîtrise d'aujourd'hui l'accomplit et le développe dans une fidélité absolue.
Toujours dans ses images, une tendresse, une lueur d'espérance viennent, fût-ce du fond du malheur, éclairer un visage, un geste fraternel.A travers la France, du Portugal à la Finlande et jusqu'au Caucase, il n'a cessé de poursuivre la vie et les instants, les fugitives expressions qui la révèlent. Personne n'a joué comme lui de l'atmosphère des départs, de la beauté insolite de l'autoroute la nuit... de ce qui passe derrière la transparence des vitres...
Il possède une gamme impressionnante de moyens pour faire comprendre comment la vie peut modeler un visage. Sa passion du portrait fait penser à celle de Van Gogh, qu'une cathédrale touchait moins qu'un regard...
Juliette DARLE.
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Jean-Pierre JOUFFROY (Peintre)
1. La photographie n'est pas moins, mais pas plus réalistc. que tout autre méthode pour fabriquer des Images. 2. La photographie ne révèle pas le monde tel que nous le voyons, mais tout autant nous révèle le monde comme nous ne le voyons pas. 3. La photographie vaut ce que vaut celui qui la produit, non seulement sur le plan technique, mais sur celui de l'idéologie, de l'intelligence, de la sensibilité
... Ceci m'amène à Gérald Bloncourt.
Avant de commencer, je dirais que c'est un passionné, que c'est un sentimental. Et comme il me paraît condamnable et faux d'opposer le sentiment à la raison (qui font à la fois mariage d'amour et mariage de raison) je le dis comme d'une vertu positive. Il tient en partie du peuple haïtien qui l'a vu naître, cette qualité de ne pas avoir honte de ses sentiments.
C'est un passionné de l'oeil humain, c'est un passionné de l'image, c'est un être profondément attaché à la vie populaire, enraciné personnellement dans la vie du combat démocratique.
C'est un technicien remarquable, aussi bien de la prise de vue, qui nécessite de grandes qualités de vitesse, de jugement, de perception de ce qui se passe, que du traitement de la matière photographique, négatifs et positifs. C'est cet ensemble qui lui permet de développer une vision personnelle du monde qui est irréductible à ses données... Il y a dans la photographie de Gérald Bloncourt quelque chose qui est l'homme même qui la fait.
Si Gérald Bloncourt peut à la fois s'exprimer et nous exprimer, c'est qu'il n'a pas de problèmes techniques, que la technique obéit à son oeil et à son doigt, que ses photographies ont une façon de faire ressortir certains rapports entre les êtres humains qui révèlent tout autant un art, un style. Face au monde qui existe, il crée véritablement un monde de la pensée...
Il s'est fait le photographe de " l'Homme du quotidien ", c'est lui-même qui s'en explique :
" La photographie est un art spécifiquement lié aux procédés d'impression, à la presse, à l'information. Elle a conquis sa popularité par l'édition des magazines. Elle est descendue dans la rue, par les kiosques à journaux. Elle pénètre dans des millions de foyers par la télévision.
Chaque matin, chaque semaine, le photo journaliste expose pour des milliers de lecteurs. Son art est lié à cette industrie de la presse que je considère comme une salle d'exposition quotidienne, permanente, populaire, ouverte au public de la rue, aux hommes de tous les jours.
C'est dire là, en effet, que je ne sépare point la poésie de l'information, le respect d'autrui de la façon d'informer, la responsabilité des Images de l'événement que nous avons en charge de décrire.
Un journaliste, un photo journaliste, dans notre monde moderne, est l'homme qui peut déchaîner les passions les plus condamnables, mais c'est aussi l'homme qui peut se battre pour une plus juste et plus humaine vision de notre devenir. "
Jean-Pierre JOUFFROY.
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Paul GILLET (Journaliste-Critique littéraire
au journal LE MONDE) :
Un jour qu'une agence ou un journal, lui avait demandé un paysage, Gérald BLONCOURT s'aperçut avec surprise, en cherchant dans sa production de plusieurs années, qu'il n'en avait pas photographié un seul. Il n'avait dans ses archives que des hommes.
Des hommes, des visages, des mains que la lumière accroche, noie ou révèle. Des gueules noires de charbon, des peaux tannées par le soleil et la vieillesse, des enfants à cloche-pied sur le bitume, des émigrés dans une gare blême, des silhouettes fondues dos le brouillard et la fumée, à la lisière des bidonvilles....
L'oeil de Gerald BLONCOURT ne sait voir que cela. Même le "décor" n'existe pas. Il n'y a que du fer, du bois, des murs, des objets que l'on a bâtis, collés, forgés. fabriqués, créés.
C'est qu'en lui n'en déplaise aux bégueules, le photographe ne préexistait pas
Gérald BLONCOURT est né à Bainet, en Haïti. Dans la maigreur de ses vingt ans, il est l'une des figures de proue de la révolution qui secoue l'île et met bas la dictature de l'époque. Condamné à mort par la junte militaire de Magloire qui précède la dictature guignolesque et sanglante de Duvalier, il vient en France au mois de mai de la même année. Il est lié à sa terre nouvelle par la culture et par le sang : son frère Tony, l'un des premiers résistants à l'occupation nazie a payé son courage de sa vie,
Gérald BLONCOURT étudie le dessin à la Grande Chaumière, au 80 Montparnasse. Pour vivre, il est linotypiste, puis photographe. Il apprend son métier sur le tas, travaillant en laboratoire, passant six mois à reproduire les vitraux de la cathédrale de Chartres. Chemin faisant, il découvre que la photographie n'est pas seulement un artisanat, mais un moyen de capturer l'existence surprise, et de dire l'homme dans sa plus grande vérité.
Voici BLONCOURT chez les dockers du Havre, chez les mineurs de Trieux, au Portugal, au Caucase, dans les usines de textiles du Nord, dans l'atelier de Jean Lurçat, dans les rues de Paris, parmi les gens du quotidien...
Il les ramène vivants !
Paul GILLET
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Michel TARRANNE (journaliste) :
DES MÉMOIRES PAR MILLIERS Un treillis vert-olive, une éternelle casquette bleue vissée sur le chef, des appareils photos plein les mains... Imaginez le tout agrippé à un feu tricolore. Gérald BLONCOURT "couvre" une manifestation ouvrière.
"J'ai pris parti : Je ne suis "pas un marchand de photographies, je suis un franc-tireur de l'image."
Un parti pris auquel Gérald BLONCOURT est resté fidèle depuis son adolescence haïtienne. Expulsé de son pays natal par une junte militaire et fasciste, il arrive en France en 1946. Il continue de dénoncer, de témoigner : la photographie est son outil préféré. Mais pas de cliché volé. C'est que Gérald BLONCOURT a trop de respect pour les hommes et les femmes qu'il aborde pour ne pas s'effacer devant eux. Il sera de toutes les manifestations, de toutes les luttes : au coeur des bidonvilles parisiens au plus fort de la guerre d'Algérie, dans l'usine Renault de Billancourt en mai 1968, le ler Mai 1974 parmi les oeillets qui fleurissent sur les canons de fusils à Lisbonne, un peu plus tard il avale le sable à coté des forces sahraouies. Gérald BLONCOURT ? Des centaines de milliers d'images qui sont autant de mémoires.
Michel TARRANNE
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Nicole BARRIÈRE (Poète)
Hommage à Gérald Bloncourt
Quand on rencontre Gérald Bloncourt, on ne peut pas l’oublier : « il coupe la gorge au temps ».
J’ai rencontré Gérald Bloncourt en 1992 : une amie peintre me parle de lui un soir et organise une rencontre : il me reçoit le lendemain !
« je me souviens » de cette journée d’hiver où je lui rendis visite la première fois dans le 11ème arrondissement.
Ce fut un choc, la rencontre d’un monument de la peinture, de la photographie, de l’écriture poétique, des contes…ah! oui le contes : un magnifique talent de conteur. D’un coup je recevais l’ébranlement de sa petite île natale Haïti : les tableaux sur les murs étalaient les crimes contre l’humanité, les photos montraient la misère du monde car Gérald Bloncourt est un militant, un résistant, un agitateur, un témoin et un artiste engagé dans son époque.
Militant de la cause haïtienne, résistant dans toutes les luttes de tous les exploités de la Terre car il vit ici et maintenant et « dit merde à l’espace ! »
D’Haïti au Vietnam, au Sahara, au Portugal mais aussi témoin visuel des misères et des luttes du peuple : les banlieues d’après guerre, les luttes ouvrières, partout où la soufrance existe, Bloncourt témoigne inlassablement et « hurle à la lutte ».
Et pourtant quelle douceur, quelle paix, quelle poésie, quel humour : cet homme a le bon sens inné ; ce n’est pas un intellectuel de façade ou un manieur de concepts, non, Bloncourt peint, écrit, photographie, raconte avec ses tripes, avec son cœur, avec sa vie.
Une vie de rencontres, d’échanges avec les plus grands, poètes, écrivains, comédiens, politiques et avec les plus modestes.
Comment ne pas être émue devant la tendresse avec laquelle il photograhie les plus humbles, la dignité que son talent de photographe leur rend. Avec lui la photo ne joue pas sur l’esthétique du malheur mais a la rigueur du témoignage sobre et sensible.
Travailleur infatigable, ce géant prend plaisir à la rencontre et accueille toujours avec une grande simplicité
« Aimer c’est agir » écrivaitVictor Hugo à la veille de mourir
Exilé d’Haïti, Bloncourt est le Victor Hugo de ce tiers monde qu’il défend, pour lequel la lutte est sans cesse en action, dans cette amour de l’humanité qu’il ne cesse de clamer.
Il faut entendre Bloncourt dire un texte, qu’il soit politique ou poétique : son charisme et sa force font taire le brouhaha de vaines contreverses, des broutilles existentielles de ceux qui croient penser car l’urgence est autre. Oui Bloncourt est un homme qui vit en état d’urgence, c’est une pensée en acte, une œuvre en mouvement et une merveilleuse amitié, tranquille, fidèle, humaine…
Ce géant qui dit « Homme avec un grand F ! »
Paris le 28/09/00
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Jean-Claude CHARLES (Écrivain haïtien)
Gérald Bloncourt : DES FLEURS SUR LES DECOMBRES
A la fin des années soixante, en Haïti, je ne connaissais pas l'existence de Gérald Bloncourt. Au début des années soixante dix, à Montréal, Québec, un ami, l'éditeur de mon deuxième livre, cette fiction atypique, Sainte dérive des cochons (Nouvelle Optique, 1977), m'a dit : "Je vais te montrer le travail de quelqu'un que tu devrais absolument connaître, à Paris." Il m'a conduit devant une photographie accrochée à un mur de la maison, signée par Gérald Bloncourt. Cet homme, c'était Hérard Jadotte. Nous avions décidément des goûts communs.
Années quatre-vingts, je rencontre le photographe chez la première femme de l'écrivain Jacques Stephen Alexis, en compagnie de la fille de ce dernier, Florence Alexis. Il parle beaucoup de son itinéraire : en gros l'appareil-photo dans l'appareil du Parti Communiste Français, mais redoutable. Il est vif, drôle, précis — le genre d'être énergétique dont j'aime bien la présence. Je ne le revois pas.
Années quatre-vingt-dix. Il me semble avoir entendu parler de Gérald Bloncourt en tant qu'écrivain. La photographie cachait son écriture. Ou bien est-ce moi qui n'aurais pas fait assez attention ? On voyage, on regarde, on lit, et puis il y a quand même quelque chose d'important qui vous échappe. Comme les pièces d'un puzzle que vous ne cherchiez pas à rassembler étant ailleurs. Où ? Sur les même fronts. Les luttes. Contre. Pour. Le confrontement avec ce que Peter Handke appelle "le poids du monde".
Années. Années. Après années. Nous sommes en 2002, n'est-ce pas ? Je découvre l'homme Gérald Bloncourt. Le photographe qui aura traversé un demi-siècle du mouvement social français. Le peintre — tiens, il peignait ? Yes my dear. Et pas n'importe quoi ? Que non ! Et il écrivait effectivement. Il n'est jamais trop tard pour les découvertes. Les choses arrivent quand elles doivent arriver.
De sorte que, devant les photos, à quelqu'un qui dit : "C'est du Doisneau ?" . Je réponds : " Non c'est du Bloncourt ! " Tout ça me paraît évident, à la lumière d'une part des deux cent mille clichés — oui vous avez bien lu — sortis des boîtiers de cet accumulateur de vies pris sur le vif. Les grands hommes comme ceux qu'une dernière entourloupe de langage fait appeler "la France d'en bas".
Quand à l'écrivain, vous tenez quelques-uns des textes dans vos mains. Ce sont les bonnes nouvelles de la création haïtienne. Je cherche à terminer sur une citation, et je me rends compte que chaque page m'en fournit une. C'est preuve d'une certaine densité. Une force métaphorique qui colle au meilleur de la poésie du vingtième siècle. Et que ce "dialogue au bout des vagues" ait lieu sur les décombres d'une longue dictature, fleurs écloses sur le fumier….
Jean-Claude Charles
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UN POÈME D'ANDRÉ LAUDE à Gérald Bloncourt
Poème
d'André LAUDE
(qui fut un ami d'André Breton)
un vent de soleil se lève
à GERALD BLONCOURT
Un homme
dans la violence du temps
dans la violence de la mémoire
épine au flanc d'un Christ vaudou
Un homme
de terre et d'eau
de grandes feuilles vertes
et d'oiseaux
plus vastes que toutes
les mers réunies
et la cuite de Baron Bravo.
Un homme qui fait langue
Au pays des Loas
et des longues nuits de tyrans
Un homme jeune coq
de foudre et de roc
frère de ma terre d'Oc
fouilleur de chaque semeur de merde
et de feu
La vie vaut bien qu'on la perde
un soir de pleine lune
de tout bois
au coin d'un bois
alors qu'on traîne la savate
en compagnie
d'un certain André Breton
Sans domicile fixe
et sans vraie profession
sinon celle d'orpailleur
au bord du fleuve
cher à ce vieil Héraclite
Un homme qu'Eros prend au piège
de ses filets bleus
Un homme qui
à l'image du Petit Poucet
sème ses yeux
de braise et de crucifix
le long du chemin
des sans-chemise
Un homme qui torse nu
dans la forge du verbe
chante au milieu des étincelles
comme chante la sentinelle
au rempart des Barbares
pour croire à sa part de ciel
Un homme fou de femmes
fou d'alcools
de peintures pures
Un homme armé
jusqu'aux dents de colère
parce qu'il y a du crime
dans l'air
Un homme peau noire
peau rouge un homme
qui danse avec les lucioles
les fusils des rebelles,
les astres et les poissons
et le pollen
Un homme qui hurle "je hais"
parce qu'il aime
plus que tout
la grande marée noire,
la jeune mariée, l'abeille
le sang dans les veines
de la grande forêt
Un homme très beau
qui vieillit bien
comme le vin et l'espoir
Un homme en guerre
-Guerre de dix mille ans -
Parce que vivre à genoux
n'est pas vivre,
parce que dans son corps à moitié
est tuer l'autre dans le désir
le délire des sens
Un homme en partance
par-delà les "mornes"
Vers le grand large
où gerbent la lune et la baleine
Un homme de ruines
et d'opiniâtres renaissances
aux ongles de glaise
au front creusé
par la fièvre corsaire
Un homme immense
de la rose qui s'acharne
à fleurir parmi nous les morts
mal enterrés
aux quatre coins du pays
Paris le 16 Février 1991
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Autour de Gérald Bloncourt.
Intervention à la bibliothèque Schoelcher le Jeudi 17 Février.
Hommage à Gérald Bloncourt
par Widad Amra, poétesse.
Monsieur Bloncourt
Je connais votre pays. J’aime votre pays dans ce qu’il offre de créativité dans une grande diversité, dans ce qu’il offre de résistance dans le temps, dans ce qu’il offre de dignité, et dans ce qu’il dit de l’humanité. Et cela, au delà, de tous les Malgré. Passés et présents.
Mais vous, Monsieur Bloncourt, avec tout le respect que je vous dois, je ne vous connaissais pas.
Jusqu’à ce livre…Jusqu’au hasard amical qui a mis ce livre entre mes mains.
Et je dirais comme Jean Claude Charles, qui a écrit votre préface, mon étonnement.
« A la fin des années 60, en Haïti, je ne connaissais pas l’existence de Gérald Bloncourt.
Au début des années 70, à Montréal, Québec, un ami m’a dit - Je vais te montrer le travail de quelqu’un que tu devrais absolument connaître, à Paris. Il m’a conduit devant une photo accrochée à un mur de la maison, signée par Gérald Bloncourt.
Année 80, je rencontre le photographe. Il parle beaucoup de son itinéraire : en gros l’appareil photo dans l’appareil du parti communiste Français. Il est vif, drôle, précis. Le genre d’être énergique dont j’aime la présence.
Années 90. Il me semble avoir entendu parler de Gérald Bloncourt en tant qu’écrivain. Années, années, après années, je découvre le photographe qui aura traversé un demi siècle du mouvement social Français. Puis, le peintre. Tiens, il peignait ? Yes my dear. Quant à l’écrivain., vous tenez quelques uns des textes dans vos mains. Ce sont les bonnes nouvelles de la création Haïtienne. Et que ce dialogue au bout des vagues ait lieu sur les décombres d’une longue dictature, fleurs écloses sur le fumier ». Fin de la préface
Ce livre, depuis que je l’ai découvert, Monsieur Bloncourt, il fait partie de mes amours littéraires. C’est un coup de cœur. Je l’ai longuement trituré, fatigué, parfois promené, caressé, malmené, comme il en est quant aux livres que l’on aime. Nous leur donnons un vécu, nous les habillons du nôtre. Comme ce qui appartient au quotidien et accompagne la vie. Hors cathédrale. Dans l’intimité des jours. Dans l’intimité qu’offre la lecture. Dans l’intimité et le silence poétique. Dans la liberté qu’offre la poésie. Dans la musique de vos mots. Dans l’émotion qui s’en dégage et qui m’a touchée. Dans le sens de la vie, au rythme du cœur et de la plume.
Monsieur Bloncourt, j’ai vécu cette lecture au rythme de ce Dialogue au bout des vagues. Avec intensité.
Je tenterai de vous dire, ces pulsations, qui me sont venues, ces images qui m’ont habitée, cette réflexion que j’ai tenté de clarifier. Et vous m’excuserez pour tout ce que je ne saurai dire.
Je commencerai néanmoins par dire :
Que, si la poésie est le partage, dîtes-vous bien que vous avez su transmettre l’essence même de ce dialogue. Car qu’est dialoguer sinon communiquer. Echanger. Ce titre Dialogue au bout des vagues, nous entraîne déjà dans un univers poétique. Faisant appel aux sens. Nous voyons la mer, la humons et l’entendons. D’emblée transportés nous sommes par le mouvement de l’eau. Nous entendons aussi les voix. D’ Elle. Celle qui écrit en italique, dans la typographie proposée. De lui, vous qui écrivez en caractères romains. De ces deux caractères qui parfois se mêlent. La mer pourrait symboliser le flux et le reflux, l’échange de votre correspondance, le mouvement, mais aussi l’éloignement ou encore la référence au pays. « J’imprime toutes les brindilles de ton histoire au bruit lourd des vagues de notre caraïbe-soleil ». La vague est également la femme et le sable vous-même: « Je suis mouette glissant au détour de ta vague »
« Je suis galet roulant sur ta plage de sable ».
Ce titre quand on le découvre, par l’ association insolite, des humains et de la nature est d’emblée une incitation à pénétrer votre univers poétique.
Nous sommes donc en 1986. C’est la chute de la dictature haïtienne. Après 40 ans d’exil, vous rentrez au pays natal : Haïti. Vous arrivez d’Europe. Vous l’exilé du dehors. Elle, de son côté, avait , pour reprendre vos termes « Vécu ses 30 ans dans la nuit sanglante de la dictature ». C’est l’exilée du dedans. La rencontre a donc lieu, à ce moment précis. Moment historique où tous les espoirs sont permis. L’espoir de la liberté, de la reconstruction du pays, et aussi l’espoir des promesses qu’offre l’amour.
L’espace spatio-temporel de cet échange amoureux, est donc Haïti, mais également la France et cela durant les années 86-87-88 dans l’ouvrage. Au delà selon vos propres mots, dans l’introduction. « Ce dialogue, nous l’avons tenu en Haïti, nous l’avons poursuivi entre Haïti et la France, nous le continuons. Nous avons eu la chance un jour de comprendre le monde pour ne plus l’oublier, de cerner l’espoir, la tendresse, l’amour. Nous devons les transmettre. C’est là notre dignité et notre combat ».
Ces textes sont donc restés enfouis 20 ans. Votre livre paraît en 2008.. Aux éditions Mémoire d’encrier. Pour notre bonheur
Cette relation épistolaire entre vous poète révolutionnaire et elle, poétesse anonyme, nous offre un échange amoureux sur fond historique. Un dialogue d’amour sur fond de révolte, de désespoir, de revendication, en une reconquête du pays, pour que soient espoir, dignité, justice. Idéal qui dépasse les frontières d’Haïti vers l’universel.
A vous lire, elle et vous, vous et elle, j’ai vu, j’ai entendu, j’ai senti, j’ai vibré. J’ai appris. Je me suis vue au cœur du pays : le vôtre. J’ai éprouvé le bonheur que l’on éprouve à découvrir un chant d’amour. Un vaste chant d’amour. Le chant de l’exil. Où s’entremêlent le chant amoureux du couple et l’amour du pays.
Si j’aime ce dialogue au bout des vagues, Monsieur Bloncourt, c’est que j’aime cette énergie fluide, cet amour qui circule de votre plume à la sienne, de votre cœur au sien, d’Haïti à la France. Avec douceur, étonnement, sincérité, désir. Cet amour qui coule, clame, réclame, se proclame, crie l’absence, le manque, la fidélité. « Je crève de ton absence, je crève de ces dimanches, camouflés, assoupis » Cela, dans la simplicité , avec spontanéité, fraîcheur , sensualité. « Je te veux dans la carcasse de mes désirs inéclos ». Ou encore : « Homme des 17 lunes que la brise saigna, je t’ai gardé toute la pureté de mon amour ordurier et maladroit. Je t’ai porté ce soir mon soleil. Ce soleil insolent ». Amour sans tabous. En écho, en reprises. En écoute , en réponse . Amour qu’entretiennent les mots. La correspondance devient alors résistance à l’usure du temps, l’usure de la géographie. « Paris, il est 1h 30 du matin. Dans tes yeux, je lis 19h30. 6 heures entre nous à course de soleil ».
Amours épistolaires jamais narcissiques, toujours dans le don. « Je te dédie » est récurrent.
Dialogue intemporel. Je m’y suis retrouvée comme tout lecteur ici, le pourrait.
Vos lettres respectives, je me les suis offertes avec jubilation. J’étais vous, j’étais elle. J’étais moi. J’y ai trouvé l’écho d’âmes sœurs. Dans l’intemporel.
Ames assez semblables et assez différentes. Pour avoir à inventer ensemble.
En effet, Monsieur Bloncourt, Que serait cet amour, pour nous lecteurs, pour moi, s’il n’était aussi la mélodie offerte à deux voix, de deux écritures très différentes, complémentaires. Des mots qui balancent, se précipitent, parfois claquent ou crépitent, hurlent, s’emportent, se posent, s’observent, s’étirent en langueur, en volupté, montent en extase et s’apaisent d’eux mêmes. Comme la sensualité offerte, comme la douleur d’un peuple, comme la violence de la dictature, comme la haine, comme le désir de justice et de fraternité. Votre correspondance est tantôt aérienne, flottante, mais aussi fulgurante, nerveuse, revendicatrice, déterminée, colérique, pour redevenir calme. Dans l’amour.
Les mots vous mêlent, vous emmêlent, vous unissent, à l’espace Haitien.
Elle, lui, vous, êtes Haïti, en une identification à la terre natale. A la mer. « Je suis goémond vert aux pulsations d’écume ». A la terre : « Toi mon sol, ma glèbe, ma fertilité ».
Dans vos aveux, dans vos confidences, la nature haïtienne occupe l’espace de vos mots, devient métaphore de l’homme , de la femme et la fusion se fait ainsi.. La mer, la terre, les villes, la campagne, la pluie, tout cela envahit notre imaginaire et nous sommes nous aussi du voyage. Votre univers humain, géographique nous est proche. Aussi fait-il caisse de résonance. La mer Haïtienne, je l’ai vue. La pluie Haïtienne m’a envahie de son déluge et de son chant « la pluie toutes ces larmes de pluie, milliers de gouttent qui claquent, éclatent sur les pierres chantent sur les feuilles … tapent sur les tôles » « La pluie de mon enfance, rêveuse de mes yeux étonnés croisant le désespoir des rues ».
Cette écriture, est à l’alphabet du pays. Vous en êtes tous deux pétris. Aux empreintes d’Haïti : de la géographie, de l’histoire, de la culture, du peuple.
Vos caractères romains se posent, poétiques, pétris de l’entre-deux, la France et Haïti. Dans une effervescence amoureuse certes, mais aussi dans l’engagement politique calme : celui de la maturité, de la détermination. Celui de la mise à distance pour l’affirmation. Vos mots naviguent, se déposent clairement sur la page, à la façon des caractères romains. Les siens chantent , en penchés italiques, poétisent, puis s’exaspèrent en photographies du pays, en descriptions haletantes, en état des lieux défectueux, en douleur récurrente, en souvenirs toujours là. En jeunesse massacrée : « J’interroge tous les témoins occultes de ce passé mutilé, ce passé syncopé, ce passé inscrit dans nos entrailles, ce passé lourd de trente longues années ».
J’ai navigué sur l’élégance du mot, la densité du propos, sa fibre révolutionnaire, sa véhémence parfois , sa douceur souvent, l’intensité du vécu surtout. Cette richesse de la langue, tout en images qui donnent à voir, à sentir, à crier, à se révolter, à aimer. Jusqu’au bout des vagues. Cette correspondance est d’une grande beauté. La langue en est riche, travaillée, délicate, sans apparats, parfois brute. Authentique.
Ce dialogue est la redécouverte d’un pays dont vous vous souveniez. Jamais oublié. Pays dont la réappropriation est immédiate certes. Mais il y a eu l’absence. Et elle, par la plume, vous redonne ce qui vous a été volé. Elle vous offre le témoignage de l’intérieur. Le cœur du pays.
Un cœur à aimer.
Mais si le thème amoureux et l’écriture, m’ont plu, ma découverte s’est enrichie de la dimension politique, de l’engagement de ce dialogue. L’état amoureux se nourrit de l’amour commun de la plume poétique, de l’amour commun du pays et d’in idéal très fort de justice et de fraternité. Pour Haïti et au delà des frontières Haïtiennes.
Pas une lettre d’amour, d’elle ou de vous, n’est en dehors de cette référence. Comme un ciment, de souffrance subie, de devenir espéré, de jalons à poser, de pays à bâtir.
Oui, J’aime ce dialogue car j’y ai humé ces fleurs écloses sur le fumier dont a parlé Jean Claude Charles dans la préface qu’il vous a faite. J’ai humé ces fleurs écloses sur les décombres d’une longue dictature. Cette correspondance dans la résistance à l’immonde.. Cette correspondance en état des lieux « Tu es la rescapée des fibres de l’horreur ». En révolution « Ton amour révolutionnaire » écrit-elle. Correspondance - Mémoire du temps, mémoire d’ événements. Voyage de l’âme. Dans le temps. Temps violent de cruauté. Inoubliable. « Ne me parlez pas d’oublier que ma poésie a un goût de sang un arrière goût de fiel et de cadavres. Ne me parlez pas d’oublier. Ma mémoire ne peut pas oublier. Ne me parlez pas d’oublier mes bourreaux criminels et voraces ».
La mémoire engrange, la mémoire écrit, la mémoire dit. L’horreur de la dictature, l’horreur de l’après dictature. L’horreur qui fait payer aux bourreaux le temps de l’insupportable vie.
« Je vois ces mains d’hommes de femmes d’enfants de tout mon peuple détruisant, bannissant partout les supports existentiels de la dictature…Ces hommes enragés d’espoir fou mordre ces carcasses putréfiées ce vendredi de l’insupportable mort, de l’insupportable condamnation de tout un peuple à vivre l’horreur » Se pose alors la question de la légitimité. De l’horreur « L’horreur, écrit-on, non ce n’est pas l’horreur mais le droit à la vie, à la justice, le droit même à l’horreur, pour une part de soleil. »
Si l’engagement, le vôtre fut l’exil, l’engagement, le vôtre fut aussi la tentative de retour. Pour prendre l’espoir à bras le corps.
Haïti renaît. Haïti espère, Haïti se lève. Haïti, demain, a besoin qu’on y croie. « Je crois en toi, je crois en ce pays ».
L’espoir vient et se matérialise par la grande orgie du nettoyage. Nettoyage humain, mais aussi nettoyage visuel de Port au prince, qu’il faut parer, de « sa liberté retrouvée. » « Port au prince bruissait de balais fébrilement empoignés, pour enlever la boue, pour enlever la haine, pour enlever la pourriture accumulée ». L’effervescence joyeuse du peuple se manifeste dans une fraternité émouvante. La jeunesse Haïtienne s’octroie sa part d’espérance et de soleil au monde. Elle, de vivre avec intensité, à leurs côtés la liberté attendue et surgie. Enfin là.
Vous nous racontez tous deux Haïti en images choc. Images reportage. Parfois violentes.
A l’encre de la terre haïtienne.
A L’encre de la résistance
A l’encre de l’espoir. Aussi.
« Je te dédie l’ardeur des foules en marche, les lendemains possibles, nos rêves de changements, de liberté et de démocratie ».
L’éveil Haïtien trouve écho car il est aussi « Des peuples solidaires ».
Le rêve Haïtien, celui dont vous parlez, dans la fraternité, grandit au fil du texte, vers un désir de justice universelle. Pour les opprimés, tous.
Pour finir, Monsieur Bloncourt, je dirais que votre ouvrage illustre ce qu’est pour moi la poésie : Désordre – liberté – Immortalité- Transcendance - Ce désordre intérieur qui s’interroge, observe, dérange, interpelle le monde. Ce désordre qui tord le coup aux convenances, à l’insoutenable, qui démolit pour reconstruire, qui hurle et donne l’espoir. Ce désordre qui donne à voir ce que l’on refuse de voir. Ce désordre à la quête de l’absolu.
Cette liberté qui va de pair avec le désordre. Dire pour être. Pour être vrai. Dire pour soi. Dire aux autres. Parfois ce qui ne peut se dire. Ce désordre et cette liberté qui font la poésie du quotidien dans la perception que l’on en a, pose aussi la question de l’immortalité qu’offre la poésie aux êtres, et aux temps. Et au delà, de l’universel et de la transcendance.
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Nous nous souviendrons de :.
De cette poétesse qui, un temps, fut votre muse.
Nous nous souviendrons aussi de :
Péralte, Roumain, Jacques Stéphen Alexis
Les millions de morts, les disparus, anonymes et fidèles.
Nous avons ce soir une pensée pour eux Monsieur Bloncourt.
Pour votre pays aujourd’hui encore A la recherche de sa trace.
Monsieur Bloncourt, merci de ce partage, qui m’a nourrie et grandie. Merci.
Widad Amra
Autour de Gérald Bloncourt.
Intervention à la bibliothèque Schoelcher le Jeudi 17 Février.
Maître-Bellemare.
Widad Amra: Lecture de Dialogue au bout des vagues de Gérald Bloncourt. Critique littéraire.
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Les Prolos (Photographies de Gérakd Bloncourt)
Edot. Au nom de la Mémoire-
Par Nicole Barriere
Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l'anime et qui le desespère
et sous ses saisons d'homme tout ce qui l'éclaire
son espoir et son sang son histoire et sa peine
Paul Eluard
" Le tout est de tout dire et je manque de mots ", en reprenant cette citation de Paul Eluard, Gérald Bloncourt nous invite à la traversée photographique d'un demi-siècle d'histoire des peuples.
De cette sélection de photos écrite comme un poème, du Paris des années d'après-guerre à l'épopée du peuple soviétique, des mines du Nord aux combattantes du Front Polizario, des ouvriers des usines Renault à Mai 1968, des amoureux qui s'embrassent sur les quais aux enfants qui jouent dans les bidonvilles, les photographies de Gérald Bloncourt parcourent le vivant et l'humanité éternelle.
Cette plongée dans la mémoire collective est une exploration de celui qui " a recopié ce qu'il a vu " :témoignage de la misère " intemporelle " des sans-logis de l'abbé Pierre en 1954, de l'enfance dans les taudis d'après guerre, des institutions qui sont là posées dans leurs contradictions avec le réel :
" Tribunal pour enfants des régions minières, Ministère du Travail qui " place " les travailleurs, les élèves en classe de sport, les vieux, les solitaires, les isolés, les amoureux, la fierté, la noblesse du métier et sa transmission, l'affection entre génération, la force des femmes combattantes, les immigrés, les enfants, le savoir, l'art, la mixité, la misère, la guerre, la misère, la guerre la misère...et cette affirmation magnifique sur la photos d'égouttiers " du fond de l'égoût, j'ai cueilli ma fleur d'hommes "
La fleur d'hommes, c'est l'espoir et cet immense appétit de savoir, cette curiosité qui habitent autant Gérald Bloncourt que les êtres humains qu'il photographie : l'école toujours présente jusque dans les camps de refugiés, la classe ouvrière des lendemains qui chantent.
" j'ai recopié ce que j'ai vu " il faut ce regard de poète et de peintre pour saisir l'émotion et la vérité du travailleur mutilé, il faut ce regard de reporter du peuple d'amplitude sur son temps pour cerner celui de Jean Lurçat, ces portaits singuliers de personnalités qui ont traversé notre temps.
Pourquoi ai je eu les larmes aux yeux en scrutant les photographies de Gérald Bloncourt ? à cause de cette restitution de la mémoire proche et pleine d'actualité de la classe ouvrière en lutte et des peuples debout pour leur dignité, avec cet espoir et cet amour seuls capables de sauver l'humanité. Cet espoir et cet amour que les photographies de Gérald Bloncourt nous rendent, même si comme lui aujourd'hui " nous avons mal au monde que nous habitons ", même si " la faune pélican-pétrole "nous écrase de son obscénité. " Droit dans les yeux nous osons etcontinuons à regarder droit dans les yeux ce monde dont " il s'est souvenu " pour nous.
Des larmes à la gratitude et au respect pour le " métèque " d'Haïti, je veux remercier Gérald Bloncourt de nous rendre mémoire et dignité au travers de ce livre exceptionnel, splendide, nécessaireet immensément actuelle qui insiste sur la fragilité humaine avec ce beau vers de Nazim Hikmet
" toute une vie pour faire un homme, si peu de temps pour nous le prendre "
Nicole Barrière
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Livre de photographies de Gérald Bloncourt
Edition "au nom de la mémoire" 2004