MELVIL-BLONCOURT -Mon grand oncle Communard

Publié par bloncourt

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  • Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1871, né à la Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) le 23 novembre 1823, mort à Paris le 9 novembre 1880, il fit ses études au collège Louis-le-Grand à Paris et suivit ensuite les cours de l'Ecole de droit. Etant étudiant, il contribua, avec Ferdinand Gambon et plusieurs autres de ses camarades, à la fondation du Journal des Ecoles, organe radical de la jeunesse démocratique. Il fut aussi un des promoteurs de la conférence Montesquieu (1846), où se discutaient des questions de législation et d'économie sociale.

Après avoir pris une part active, comme représentant des écoles, à la campagne réformiste, il se mêla au mouvement révolutionnaire de 1848, collabora à divers journaux républicains avancés, la Vraie République, le Peuple, la Voix du Peuple, et commença (1859) la publication d'une vaste encyclopédie de la tribune française de 1789 à nos jours sous le titre la France parlementaire. Mais ce recueil fut supprimé par le coup d'Etat de 1851, et son auteur, arrêté, subit quelques jours de détention à la Conciergerie.

Etranger, sous l'Empire, à la politique militante, M. Melvil-Bloncourt se consacra spécialement à l'étude des questions coloniales ; en même temps, il fournissait de nombreux articles à la Biographie générale de Didot, au Dictionnaire universel de M. Lachâtre, au Dictionnaire de Larousse, au Dictionnaire des communes de France de Joanne.

Candidat, le 9 avril 1871, à l'Assemblée nationale, pour la colonie de la Guadeloupe, il en fut élu représentant, le 1er sur 2, par 3 322 voix (5 620 votants, 29 722 inscrits). Mais, au lieu de prendre séance à Bordeaux et à Versailles, M. Melvil-Bloncourt accepta de la Commune de Paris la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie ; il conserva ces fonctions jusqu'au 15 mai. L'insurrection vaincue, il alla siéger à l'extrême gauche de l'Assemblée nationale, et vota :
- contre le pouvoir constituant,
- pour la dissolution,
- contre le gouvernement du 24 mai,
- contre le septennat, etc.

Il pensait avoir échappé aux poursuites exercées contre les auteurs de l'insurrection communaliste, lorsqu'une lettre du général du Barrail, ministre de la Guerre, fit part (5 février 1874) à l'Assemblée nationale du rôle joué en 1871 à Paris par le député de la Guadeloupe. À cette lettre était jointe une demande en autorisation de poursuites formulée par le général de Ladmirault, gouverneur de Paris :

« Je crois devoir appeler votre attention, écrivait le général, sur les faits suivants, desquels il résulte qu'un membre de l'Assemblée nationale est assez sérieusement compromis dans l'insurrection de la Commune pour qu'il puisse être l'objet de poursuites devant un conseil de guerre.... M. Melvil-Bloncourt a prêté son concours à la Commune dans les conditions suivantes : 1° le 5 avril 1871, il fut chargé, par décision du membre de la Commune délégué à la guerre, de la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie; 2e ce même jour, il a pris possession de son poste au ministère de la Guerre, pavillon du ministre, et 23 pièces, - dont 16 revêtues de sa signature, - certifient qu'il a réellement exercé jusqu'au 16 mai 1871 inclus les fonctions de chef du service des enrôlements ; ces pièces portent presque toutes comme en tête : « ordre du citoyen Cluseret, délégué à la guerre... »

L'autorisation de poursuivre fut votée le 27 février 1874, par 532 voix contre 64. M. Melvil-Bloncourt, qui était parti pour Genève quelques jours auparavant, fut condamné par contumace à la peine de mort (5 juin 1874) et déchu de son mandat de représentant le 9 décembre suivant, par un vote de l'Assemblée.

Il vécut dès lors obscurément en Suisse, et revint mourir à Paris après l'amnistie (1880).

MELVIL-BLONCOURT -Mon grand oncle Communard

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Ici est l'histoire d'un des plus grands intellectuels
de la Commune de Paris :
MELVIL-BLONCOURT
Il fut condamné à mort,
exilé,
député de la Guadeloupe.
Lisez et découvrez ...

 

le communard marie-galantais ?

par Willy Alante-Lima
A ma mère, en hommage à ses 90 soleils,
lui souhaitant, selon notre locution familière,
de tenir la cape encore longtemps.
A feue Mademoiselle Yolande Bloncourt,
A Monsieur Gaston Bloncourt.

 

__________________________________________

Melvil-Bloncourt fut une des grandes figures intellectuelles parisiennes de la seconde moitié du XIXe sicle.

Le 12 novembre 1880, un billet du "Petit-Parisien" annonçait : "Un homme de coeur, un courageux soldat de la démocratie, un savant est mort avant-hier à Paris : Melvil-Bloncourt."

L'échotier voulait sans doute dire, un érudit.

Pour mieux situer celui-ci, nommons simplement ses pairs et amis : Charles Baudelaire, le photographe Etienne Carjat, Alphonse Daudet l'indicible traître (nous verrons plus loin pourquoi), Alfred Delvau, Delescluze, premier délégué à la guerre de la Commune, le comédien Martel de la Comédie française l'écrivain Henri Murger, Félix Pyat, Alexandre Privat d'Anglemont son compatriote, le fidèle Nadar, Elisle Reclus l'écrivain géographe, selon la terminologie de l'autorité militaire, Victor Schoelcher le parjure (nous verrons aussi pourquoi), Antonio Watripon, poète et compagnon de plume. Pour ses admirations, citons son maître durant trois années au Collège de France, Edgard Quinet, et, le premier de tous, Voltaire et son Siècle.

Voici, de Jules Levallois, mémorialiste sagace et mesuré, un proche, son témoignage des liens qui les unissaient à Charles Baudelaire : "Quand il avait composé une nouvelle pièce de vers, il nous réunissait en petit cénacle, dans quelque crémerie de la rue Saint-André des Arts ou dans quelque modeste café de la rue Dauphine, Melvil-Bloncourt, Antonio Watripon, Gabriel Dentragues, Alfred Delvau; je passais par-dessus le marché en tout petit compagnon".

Sa naissance :

 

Où est né Melville, Sainte-Suzanne, Vicomte, Bloncourt, dit Melvil-Bloncourt ?

Le lecteur s'interroge probablement à propos du caractère dubitatif ou interrogatif du titre de l'étude que nous lui consacrons. En rigueur, il ne peut en être autrement.

Voici pourquoi et pour une double raison : celle relevant de l'état civil, et celle d'écrits communs.

D'abord l'état civil : le 31 Juillet 1848, Hortense Bloncourt, âgée de 24 ans, fait enregistrer un jugement du tribunal de première instance de Pointe-à-Pitre, daté du 25 novembre 1847, faisant suite à une enquête demandée par Mme Creuillette Leblond le tout sans aucuns frais à cause de l'état d'indigence dément constaté", lui donnant acte de la naissance, donc de l'existence, de cinq enfants Bloncourt, dont Melville (sic) le 5 juillet 1821 à Pointe A Pitre. Les dates de naissance des 5 enfants entre 1813 et 1831 devaient être portées en marge des registres de l'état civil conservés au greffe. L'exemplaire sur microfilm se trouvant aux Archives nationales ne porte aucune mention.

Dans les documents que nous avons pu compulser par ailleurs, si le lieu de naissance demeure le même (à une exception près) les dates divergent : d'après le "Dictionnaire des contemporains" de Vapereau (1873) c'est le 23 octobre 1825; le "Dictionnaire des Parlementaires" de Robert Bourloton et Cougny donne le 23 novembre 1823, et une enquête de police le 23 octobre 1823.

Un rapport, (cote 105) transmis à la première division militaire, précise : "Son état civil n'a pu être indiqué d'une façon authentique, l'extrait de casier le mentionnant tout simplement sous le nom de Melvil-Bloncourt et les recherches faites aux bureaux de la Chambre ainsi qu'au ministère de la Justice n'ayant permis de découvrir aucun renseignement officiel à cet égard."

La vérité, à notre avis, se trouve chez le Guadeloupéen, Oruno Lara, dans son livre "La Guadeloupe dans l'Histoire". Pourquoi ? Pour deux raisons également :

Oruno Lara, né en 1879, a du posséder des documents probants, ou apprendre par la commune Renommée, le lieu de naissance exact de celui à qui il a consacré un très long article. Il écrit "Melvil-Bloncourt né à Grand-Bourg (Marie-Galante), en 1825, était venu fort jeune à Paris, où il fit ses études".

Ajoutons à ceci, pour conforter notre intuition, que, vers 1919, Oruno Lara se liait d'amitié avec Max Clainville-Bloncourt, neveu de Melvil-Bloncourt. Il termine son ouvrage en 1921. On peut supposer qu'Oruno Lara, pointois lui-même, n'avait aucun intérêt à privilégier Marie- Galante.

Voici encore qui pourrait subsidiairement, corroborer notre sentiment sur la validité de sa déclaration : "Pendant ses quelques années de législature, Melvil-Bloncourt trouva moyen de doter la ville de Pointe-à-Pitre d'une bibliothèque communale, par l'envoi de livres obtenus du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. Il fit de même pour la commune de Saint-Louis, Marie-Galante"

Cette ultime précision nous porte à croire que Melvil-Bloncourt devait avoir des liens privilégiés avec le maire et conseiller général, Monsieur Raiffer, ou tout simplement avec l'île de Marie-Galante, en leur rendant ainsi hommage à sa manière. Le prénom d'un de ses frères, Saint-Louis, évoque au surplus le nom de cette commune.

C'est dire que l'ampliation déjà évoquée est à considérer avec beaucoup de réserves, car la liste des enfants qui y figurent serait incomplète. Les frères et soeurs Bloncourt furent au nombre de dix. Ce sont : Octave (1807), Zoé (1808), Plaisir (1812?), Irène (1813), Saint-Louis (1815), Melfort (1817), Melville (1821), Hortense (1823), Clermont ou Clairmont (1825), Clainville (1829). Notre parti pris semble donc fondé.

 

Origine du patronyme :

 

Il s'agit d'éclaircir à présent, une seconde interrogation : le patronyme bicéphale adopté, MELVIL-BLONCOURT. D'où vient le choix de ce tandem patronymique considéré comme le patronyme véritable de celui qui en a fait élection ? L'extrait du rapport déjà cité (cote 105) adressé à la première division militaire peut en permettre la clarification : "Melvil, Sainte-Suzanne, dit Melvil-Bloncourt" ou encore "mieux connu sous le nom de Melvil-Bloncourt". Mais l'enquêteur se fait plus précis quand il nous livre un véritable extrait de naissance : "Il paraît néanmoins établi, d'après des indications dignes de foi, qu'il serait le fils naturel d'une Créole, Caillette-Leblond (1) et d'un comte de Moyencourt et que son nom aurait été constitué avec la dernière syllabe des noms de son père et de sa mère."

Ces précisions sont, de nos jours encore, attestées, quant à cette double filiation parentale, devenue et restée Bloncourt, tant par des descendants que par le Grand Armorial de France, pour l'origine nobiliaire du géniteur originel de la lignée ainsi que par son implantation territoriale.

"La famille Vaultier de Moyencourt était originaire de Picardie. Elle portait : d'azur à un croissant d'argent, accompagné de neuf mouchetures d'hermine rangée en orle. Devise : mieux vaut mourir que salir (Muller).

Elle remonte à Nicolas de Vaultier, archer de la garde du roi, époux de Françoise de Confite. Il est mentionné avec sa femme, dans une bulle du cardinal Saint-Pierre es liens (probablement le futur Jules II) du 25 août 1499."

Cette famille s'enracinera aux Iles d'Amérique, Guadeloupe incluse, avec notamment, "Alexandre de Vaultier, comte de Moyencourt, Chevalier de Saint-Louis, Commandeur de Notre-Dame du Mont-Carmel, Lieutenant général des Iles du Vent de l'Amérique, capitaine de vaisseau du roi, amirante de Castille, époux de Marie-Annede La Croix".

Notons cependant que les documents consultés ne nous ont pas permis d'identifier qui d'entre les comtes de Moyencourt nés en Guadeloupe peut être considéré comme l'ancêtre des Bloncourt. Une recherche plus approfondie dans des archives privées ou notariales permettrait sûrement de lever le voile sur un mystère qui n'est plus très épais car cette paternité tenue pour vraie peut être cernée par des détails, soit tirés de la tradition orale, soit de l'un des prénoms de l'intéressé. En 1991, mademoiselle Yolande Bloncourt nous confiait que, enfant, lorsqu'elle accompagnait sa mère au cimetière de Pointe-à Pitre, celle-ci attirait affectueusement son attention sur un buste effigie érigé là, en lui précisant qu'il "représentait la famille de notre ancêtre". (Cette même année, nous avons parcouru vainement ce cimetière. Vers quelle décharge ce buste ou stèle en déshérence fut-il acheminé ?...)

Le prénom, Vicomte, retient l'attention car, hier comme aujourd'hui, il ne nous semble pas avoir jamais eu cours dans l'Ile. Par contre, Vicomte, dans la hiérarchie nobiliaire est un titre de noblesse immédiatement inférieur à celui de comte, et porté par les fils cadets du comte et leurs descendants. Nous pouvons avancer cette hypothèse : n'était-ce pas, pour la génitrice, une manière codée de reconnaître une paternité, à tout le moins de la suggérer ?

Dans une de ses chroniques littéraires de la "Revue du Monde Colonial", (1864 Tome XII) "l'Edilité parisienne et les Colonies françaises" p. 230-236, celui qui deviendra tout uniment Melvil-Bloncourt, s'étonne de ne pas découvrir aux façades des rues parisiennes les noms de ceux qu i ont été les grands serviteurs de l'Empire colonial français; il cite, par exemple "l'Olive, le fondateur de la Guadeloupe (1635), de Moyencourt, de Nolivos, deux gouverneurs éminents de cette colonie" (p. 235).

N'était-ce pas, là aussi, façon de rendre un hommage indirect à son aïeul ? Cette origine paternelle (prestigieuse et aisée) de Melville, Sainte-Suzanne, Vicomte, Bloncourt nous permet également de mieux comprendre comment lui, jeune guadeloupéen de couleur, a pu poursuivre des études à Paris au Lycée Louis-le-Grand. En effet ce ne sont pas les modestes revenus financiers de sa mère qui lui auraient permis de payer son voyage, son trousseau et ses études.

 

A Paris : l'étudiant militant :

 

Dès lors, Melvil-Bloncourt commencera à battre le pavé parisien, pour le meilleur et pour le pire. Avant d'être l'homme politique de premier plan, et l'homme de culture respecté qu'il fut, étudiant il se fit remarquer par son militantisme. Un exemple, ce courrier adressé à J. B. Delutre (ou Delatre) recueilli par Jules Clarétie pour son "Liber Libro", parmi d'autres autographes.

Paris, le 19 avril 1866

Mon cher Concitoyen

J'ai l'honneur de vous adresser ci-inclus deux exemplaires de la liste de souscription pour les Affranchis des Etats-Unis d'Amérique. Je vous serai fort obligé de vouloir bien en remettre un pour moi à M. Marais quand vous aurez l'occasion de le voir.

Veuillez mon cher Concitoyen, etc.

Cette souscription avait été ouverte dès 1865 par Melvil-Bloncourt lui-même qui avait commencé son droit en 1845 et fondé, avec Ferdinand Gambion, Le "Journal des Ecoles", organe radical de la jeunesse démocratique; il est également un des fondateurs de la "Conférence Montesquieu" (1846) où se discutaient les questions de législation et d'économie sociale. Il fut nommé en 1848 commissaire du Banquet des Ecoles à la tête duquel se trouvaient Lamartine et Ledru-Rollin. Il semblerait qu'au terme de son cursus scolaire il ait obtenu le grade d'avocat. ("Nos députés à l'Assemblée Nationale", A-V Clerc, in 18, 1872).

En 1850, il entreprit la publication de la "France parlementaire, encyclopédie de la tribune française, de 1789 à nos jours". En voici la raison : "l'une des conditions essentielles pour former l'éducation politique dans le temps où nous vivons et pour édifier l'opinion sur les grandes questions dont notre génération est préoccupée, est de connaître la grande lutte parlementaire qui a présidé aux institutions qui nous régissent; cette lutte a cependant été laissée dans l'ombre; de là une immense lacune dans l'histoire".

 

 

Incarcéré par la police de Napoléon III:

 

Cette profession de foi devait porter ombrage à l'Establishment impérial. "Ce recueil fut supprimé par le coup d'Etat de 1851, et son auteur, arrêté, subit quelques jours de détention à la Conciergerie".

Un témoin oculaire, également incarcéré après la rafle, le Nantais Auguste Chassin (le Matoussin du Bachelier de Jules Vallès) dans son livre, "Souvenir d'un étudiant de 1848", traça un portrait plaisant de Melvil-Bloncourt qui avait déjà pris part "aux agitations préparatoires de la Révolution de Février", en conséquence déjà aguerri aux moeurs de la maréchaussée. Il écrit : "Un mulâtre revêtu d'un habit noir râpé et qui jusqu'alors s'était tenu à l'écart de tout le monde, vint me dire d'un ton mystérieux :

- On vous cherchera des complices; on trouvera des mouchards... Prenez garde ! Nous sommes en prison !

Avec qui ?"

Auguste Chassin de préciser : "Après cinq heures, nous n'étions plus dans la salle des filles qu'une dizaine, dont deux que l'expérimenté Melvil signala à notre mépris."

Au moment de l'appel des futurs libérés, alors qu'ils traversaient la salle où étaient empilées les prostituées du quartier, "une énorme rousse s'écria à l'attention de Melvil : Beau nègre, j'en tiens pour toi".

Cela, pour le portrait physique et spirituel.

 

Le critique littéraire :

 

Pour le portrait intellectuel, voici ce qu'il en dit : "Il professait pour Edgard Quinet une admiration fanatique, exclusive. Il discutait Michelet, il réputait Quinet indiscutable."

Avant d'être plus tard l'homme politique respecté, le républicain radical, mais toujours tolérant, lui qui disait, "il faut être juste même avec les rois" il mit sa plume au service de ce que nous nommerions aujourd'hui la Presse de Gauche. Il collabora à divers journaux républicains, "La Vraie République", "Le Peuple" de Proudhon, "La Voix du Peuple", se consacra à l'étude des questions coloniales dans la "Revue du Monde Colonial" et les colonnes de "L'Illustration". Dans ces deux publications il montra ses talents de critique et d'informateur érudit, autant que vulgarisateur en matière d'art sur des sujets neufs pour le public de l'heure (la civilisation aztèque, par exemple.)

Il fut le collaborateur de plusieurs dictionnaires d'alors auxquels il fournissait des articles : la "Biographie Générale" de Didot, le "Dictionnaire universel" de M. Lachâtre, le "Dictionnaire" de Larousse, enfin le "Dictionnaire des communes de France" de Joanne.

Jules Levallois, artisan d'une de ces créations, écrit le 26 février 1853 :

"...Je travaillais au dictionnaire de Maurice Lachâtre, étrange compilation !... y coudoyais Buchet de Cublize, tête encyclopédique, intelligence vaste et impartiale, élève comme Tisseur, Blanc Saint-Bonnet, Victor de Laprade, Fortoul dont il était le condisciple, du célèbre abbé Noirot... Parmi les survivants, je citerai l'infatigable M. Charguéraud, liseur, fureteur, annotateur, l'homme-dictionnaire, l'homme recherché et un lettré jusqu'au bout des ongles, M. Melvil-Bloncourt, aujourd'hui représentant des colonies à l'Assemblée Nationale, l'un des hommes qui possèdent et maintiennent le mieux la tradition intellectuelle, philosophique de notre pays".

Critique littéraire perspicace, corrosif et de grand talent, le premier et unique dans l'histoire de la littérature antillaise, ses jugements ne passaient pas inaperçus. Un critique de "grand format", comme Privat d'Anglemont. D'une plume alerte, fine lame à l'occasion, quand il ferraillait contre la bêtise de l'homo sapiens. En voici un échantillon extrait de "Homme ou Singe ou La Question de l'Esclavage aux Etats-Unis", tiré d'une chronique parue dans la "Revue du Monde Colonial" :

"Je devais ici même, après l'examen de l'oeuvre de M. Poussièlgue, parler de deux beaux livres que j'ai mentionnés, mais je me rappelle que les lois de l'esthétique, aussi bien que les ordonnances de police défendent certains voisinages".

Il n'est pas plus tendre à propos du Salambô de Flaubert. "Ce livre est à la science ce que le Génie du Christianisme a été naguère à la religion catholique :

C'est de l'archéologie illustrée mêlée à beaucoup de pathologie". Ce jugement est tiré d'un article inaugural de critique littéraire paru dans la Revue du Monde colonial de 1863, tome VIII. Il a de nos jours encore valeur d'enseignement pour un lecteur peu enclin à l'exotisme des situations romanesques. Il est à noter quelles réserves de Melvil-Bloncourt rejoignaient celles de Jules Levallois et de Saint-René Taillandier (2).

 

Alphonse Daudet, l'ami félon :

 

Il ne nous a pas été donné de pouvoir consulter ses sentences à propos des oeuvres de son ami félon, Alphonse Daudet. Si, cependant, elles furent d'une même verve ravageuse, cela explique en partie la hargne dont fera montre le Tartarin des Lettres. Selon des contemporains, ce serait l'une des raisons de leur rupture. On ne saurait, en effet, éluder l'ombre de Daudet à l'occasion d'un essai de biographie de Melvil-Bloncourt. Car leur histoire littéraire semble interférer avec leur histoire personnelle. Mais ceci n'aurait pas dû justifier cela.

En 1899, paraissait l'édition définitive, chez Alexandre Houssiaux, éditeur à Paris, sous la plume d'Alphonse Daudet, d'un roman "Jack", avec en sous-titre, "Moeurs contemporaines". Ce roman avait couru le feuilleton dès 1876 dans "Le Moniteur" de Paul Dalloz. Un des personnages remarqués de ce livre vériste, à double raison, parce qu'il est mulâtre et barbouillé à souhait par le portraitiste, se nomme Moronval. Il ne passa pas inaperçu et fit la fortune de l'auteur-barbouilleur. A telle enseigne, nous dit Oruno Lara, que Monroval fut considéré comme "un type physique et moral réussi du créole". (p. 274, op. cité). L'on comprend pourquoi ce livre de piètre facture à tous égards fut à l'époque un succès mitigé de librairie, mais apprécié par l'élite (George Sand). Ce Moronval présenté plus comme un tenancier d'hôtel borgne, que comme le directeur d'une institution libre, par les descriptions physiques appuyées, l'origine sociale et intellectuelle, maquillée par endroits pour donner le change, n'échappa pas à la "Cité Intellectuelle". Page 42 l'on lit : "Evariste Moronval, avocat et littérateur, avait été amené de la Pointe-à-Pitre en 1848, comme secrétaire d'un député de la Guadeloupe".

L'on peut dire, de manière générale, de tous les personnages mis en scène par Daudet, de Moronval à Jack, en passant par le professeur de littérature, Amaury d'Argenton, qu'il se trouve toujours un détail évoquant la personne de Melvil-Bloncourt. L'on n'aurait pas tenu grief à Alphonse Daudet d'avoir peint un type de mulâtre crédible, mais ici la boursouflure, la haine, l'emportent sur la littérature. Même les comparses de Moronval en subissent l'effet. Les deux piliers de ce livre sont le vérisme et le misérabilisme. Dans ce second cas sourd un racisme dont Alphonse Daudet ainsi que ses contemporains n'avaient pas conscience.

Jules Clarétie, qui était un familier de Daudet, dans ses "Célébrités contemporaines" (1883), livre la clé du rébus d'Alphonse Daudet. "Faut-il le nommer aujourd'hui ce Moronval ? On l'a porté naguère au cimetière, il s'appelait Melvil-Bloncourt". Firmin Maillard, d'une manière plus primesautière évoque la bassesse d'Alphonse Daudet : "...on peut quelquefois ne pas rendre le dîner qu'on a accepté, mais le vomir sur la tête de l'amphitryon a toujours été regardé comme une chose malséante... tout cela est parfaitement exact, l'auteur a connu Moronval. Il allait aux soirées de Moronval, il buvait l'orgeat de Moronval et y faisait danser les demoiselles; Moronval était jaune foncé, le romancier l'a peut-être vu un peu noir... tant pis pour Moronval". ("La Cité* des Intellectuels" p. 146).

Alphonse Daudet, pour corroborer son travail de démolition contre son ex-ami, la fortune littéraire aidant, fit une adaptation de "Jack", en collaboration avec H. Lafontaine. Elle fut représentée pour la première fois le 11 janvier 1881 au théâtre de l'Odéon. (E. Dentu, éditeur, 1882). Ici encore, le vérisme fut poussé à l'extrême. Monsieur Lafontaine, jouant le rôle d'Amaury d'Argenton, avait (ou s'était fait ?) la tête de Melvil-Bloncourt, telle que la photographie la représente : le visage barré d'une large moustache...

Le journaliste, Maxime Rude, autre mémorialiste réfléchi de cette fin de siècle, a, non sans raison, pu écrire du très (et trop) célèbre Daudet : "Trop de bonheur rend ingrat", faisant ainsi allusion aux temps des vaches maigres du Tarasconais, lequel dut son entrée en littérature au duc de Morny dont il était le secrétaire.

Il faillit être un de ces ratés qu'il a voulu décrire dans "Jack", si le duc de Morny n'avait pas passé l'éponge sur une saisie-arrêt faite par un imprimeur sur ses appointements de secrétaire.

Le roman-pamphlet de Daudet parut alors que Melvil-Bloncourt s'était exilé en Suisse, après la Commune de Paris à laquelle il avait pris part. Laissons le champ littéraire pour entendre la voix des contemporains. Du journal "La Paix", 14 Mars 1925 : "Melvil-Bloncourt, dans ses critiques, pratiqua l'éreintement en règle de Daudet qu'il qualifia de sous-officier des Lettres. Son adversaire le ménagea encore moins...Les cénacles littéraires s'en mêlèrent toujours avec leur esprit frondeur. Les amis de Daudet traitèrent Melvil-Bloncourt de malheureux en choix, et ceux du dernier infligèrent à son antagoniste le nom d'un petit poisson dont l'application est rien moins qu'honorable".

Quant à nous, nous livrons au psychiatre ce passage tiré de la Chèvre de Monsieur Seguin : "Notre en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque et tous ces messieurs furent galants... Il paraît même - ceci doit rester entre nous, Gringoire - qu'un chamois à pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette".

Quid d'Alphonse Daudet, écrivain ? Voici un jugement de son dernier biographe, Madame Wanda Banour (France-Culture , 19 heures, 25 juillet 1990) : du « sous-Zola ». D'Henri Guillemin, commentant l'oeuvre de Jules Vallès : "considérer avec différence, et selon la tradition, Alphonse Daudet, par exemple, comme un grand écrivain, et réserver une place dans son ombre - une sorte de niche à chien - à Vallès, cela relève de la bouffonnerie".

 

Le parlementaire :

 

C'est l'instant d'évoquer le parlementaire. Melvil-Bloncourt fit son entrée sur la scène politique avec la chute de l'Empire. La Guadeloupe avait eu à élire deux députés. Le 15 octobre 1870, dans le journal "Le Commercial" (Guadeloupe) était proposé le tandem, Victor Schoelcher et Melvil-Bloncourt. Le 21 octobre 1870, le journal "L'Avenir" (Guadeloupe) proposait une : Victor Schoelcher et Auguste Duchassaing.

Il faut dire que la candidature de Melvil-Bloncourt n'allait pas de soi, - son intégrité et ses qualités intellectuelles n'étant pas en cause - mais ses adversaires, à Paris comme à la Guadeloupe, n'avaient pas oublié sa participation à la Commune. Le 10 mars 1871, "L'Avenir" donnait les résultats des élections de Paris où avait été élu Victor Schoelcher, en même temps que Victor Hugo, Gambetta, Ledru Rollin, Clémenceau. Y était également insérée une note-manifeste en faveur d'Adolphe Rollin et Melvil-Bloncourt. Le 11 mars 1871, "Le Commercial" (Guadeloupe) publiait le manifeste suivant dans lequel M. Rollin déclarait : "la nomination de notre illustre concitoyen, Victor Schoelcher, à la représentation de Paris, étant un fait accompli, il y a lieu de porter nos voix sur un autre candidat.

Je me substitue à M. Schoelcher dans la combinaison libérale représentée par lui et par M. Melvil-Bloncourt auquel je suis uni par mes principes et mes convictions".

En dépit des palinodies et des cabales, au premier tour de scrutin du 19 mars 1871, Melvil-Bloncourt obtint 3211 voix, Adolphe Rollin 2898. Au second tour du 9 avril les résultats furent : Melvil-Bloncourt 2977, Victor Schoelcher 2495, Adolphe Rollin 2393, Auguste Duchassaing 2074. Le 25 avril 1871, la Gazette Officielle donnait un scrutin rectifié : Melvil-Bloncourt 3322 voix, Adolphe Rollin 2756. C'étaient les deux candidats ayant eu le plus de suffrages. Et, voilà comment, Melvil-Bloncourt devint député de la Guadeloupe.

Cette victoire ne fut pas vue d'un bon oeil à Paris, car la Commune venait de prendre fin, et le nouveau parlementaire en sortait. D'une synthèse de rapport (cote 74) faite à l'autorité militaire voici un aperçu : "De son élection à la Guadeloupe, voici ce que l'on raconte :

Il s'agissait d'élire deux députés. Un propriétaire blanc, Monsieur Rollin, homme fort honorable posait sa candidature, mais on lui fit observer qu'il ne passerait qu'en même temps qu'un homme de couleur.

On songea alors à Melvil-Bloncourt qui, étant établi en France depuis de nombreuses années, tirait de son éloignement ce prestige qui, aux colonies, entoure rapidementles créoles venant habiter Paris.

M. Rollin fit les frais de la double élection et malgré l'opposition de tous les gens sensés, Bloncourt passa à la remorque de M. Rollin, mais à une très faible majorité."

De 756 voix, cependant !!!

 

Son action au Parlement :

 

Durant son bref passage à l'Assemblée nationale, de juin 1871 à février 1874, Melvil-Bloncourt fut un parlementaire actif au bon sens du terme et un remarquable démocrate. S'il fut un politique respecté et écouté dans l'hémicycle, intellectuel il le fut non moins, double notion qui ne cohabite généralement pas chez des politiques d'aujourd'hui ou d'autrefois de quelque obédience qu'ils se réclament. Nous entendons, intellectuel, au Ignacio Silone : "Ce mot d'intellectuel je l'emploie dans un sens précis : je désigne ainsi tous ceux qui contribuent à la formation d'une conscience critique au sein d'une époque. Dans le sens où je l'entends, ce terme désigne une fonction et non pas une corporation."

Citons quelques unes de ses initiatives : il amorça la création d'une bibliothèque communale dans la Ville de Pointe-à-Pitre, par l'envoi de livres obtenus du Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. De ces ouvrages, toutes disciplines confondues mais notamment de littérature et de sciences, nous en avons dénombré 390 ! Cela peut paraître modeste, mais le geste est toujours neuf. Cet envoi de livres dut sembler insolite au maire de Saint-Louis d'alors, M. Raiffer, auquel le généreux pourvoyeur répondit : "Moins de livres ! dites-vous. Goethe disait : De la lumière ! encore de la lumière ! Je Suis de l'avis de Goethe. Et j'ajouterai : pas assez de livres."

Il eut, par ailleurs, le projet -hardi pour l'époque de créer un musée public. Entre autres artistes il avait choisi les tableaux du peintre guadeloupéen, Guillaume Guillon, dit Lethière, un cacique des Beaux-Arts, en hommage filial, disait-il, à la Guadeloupe, ce qui peint bien le caractère moral de cet homme de culture qui fut chargé de mission culturelle avant la lettre.

Malheureusement, Melvil-Bloncourt ne put parachever son oeuvre de salubrité mentale, son mandat parlementaire allant être écourté, son passé de communard n'ayant pas été oublié par tout le monde. Ce d'autant que, sur le plan politique, il était toujours resté égal à lui-même. Il siégea à l'extrême gauche de l'Assemblée nationale, et vota contre le pouvoir constituant, contre le septennat. C'est l'heure de faire un retour en arrière pour le situer dans le mouvement communaliste qui allait infléchir la trajectoire de sa vie.

 

Le passé de Communard :

 

Melvil-Bloncourt enfermé dans Paris durant le siège de 1870, honorant ses convictions politiques, devint un rouage important de la Commune, puisque adjoint du Délégué à la Guerre, Cluseret. De la synthèse des rapports (cote 74), nous lisons : "au mois de décembre 1870 il habitait une propriété sise entre Vanves et Issy, mais, lors de l'investissement, il se réfugia à Paris, rue de Navarin N° 19, dans un appartement mis à sa disposition par un Sieur Martel, artiste dramatique qui était parti en Bourgogne. Au début du siège Melvil-Bloncourt se fit incorporer dans le 116e bataillon de la Garde Nationale, mais il y resta peu de temps"...

"Pendant la période insurrectionnelle, il eut de fréquentes entrevues avec Glais-Bizoin, avec Cluseret, dont il était le conseiller intime, et il aura assisté à tous les entretiens que ce dernier eut avec M. Bonvalet".

Le rapport adressé à la première division militaire (cote 105) précise : "... le 20 ou le 21 mars, il vint offrir à Lullier, à l'Hôtel de Ville, ses services, en disant qu'il donnait son adhésion pleine et entière au programme du comité central et de la Commune."

Son dévouement à la cause communaliste fit de lui une cible rêvée. L'arrivée au pouvoir du maréchal de Mac-Mahon devait mettre un terme à la vie parlementaire de Melvil-Bloncourt. Le prétexte était clair. Sous la Commune il avait eu la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie. Le même rapport précise :

"Melvil-Bloncourt portait alors un képi de commandant d'état-major et avait sous ses ordres six employés que le comité central payait 3 francs par jour; Melvil de son côté, recevait ses émoluments, fixés à10 francs par jour, du caissier du Délégué à la Guerre." v D'après un extrait des Etats de solde, Melvil-Bloncourt aurait émargé du 1er avril au 15 mai pour la somme de 410 francs.

Le 5 février 1874, le général du Barrail, ministre de la Guerre, faisait part à l'Assemblée nationale du rôle joué en 1871 par le député de la Guadeloupe. A cette lettre était jointe une demande et autorisation de poursuite formulée par le général de Ladmirault, gouverneur de Paris.

"Je crois devoir appeler votre attention sur les faits suivants, desquels il résulte qu'un membre de l'Assemblée nationale est assez sérieusement compromis dans l'insurrection de la Commune pour qu'il puisse être l'objet de poursuites devant un conseil de guerre... Melvil-Bloncourt a prêté son concours à la Commune dans les conditions suivantes :

1) le 5 avril 1871, il fut chargé par décision du membre de la Commune, délégué à la Guerre, de la direction des engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie; 2) 2) ce même jour, il a pris possession de son poste au Ministère de la Guerre, pavillon du Ministre, et 23 pièces - dont 16 revêtues de sa signature - certifient qu'il a réellement exercé jusqu'au 16 mai 1871 inclus les fonctions de chef de service des enrôlements; ces pièces portent presque toutes comme en-tête : "Ordre du Citoyen Cluseret, délégué à la Guerre..."

L'autorisation de poursuivre fut votée le 28 février1874, par 532 voix contre 64. Melvil-Bloncourt qui était parti pour Genêve quelques jours auparavant, fut condamné par contumace à la peine de mort le 5 juin 1874, par le 3ème Conseil de guerre de Paris, et déchu de son mandat de représentant le 9 décembre 1874 par un vote à l'Assemblée.

Voici l'attendu du verdict :

"Bloncourt-Melvil, Sainte Suzanne, dit Melvil-Bloncourt député de la Guadeloupe, Homme de Lettres, (contumax) coupable d'avoir en 1871, à Paris, participé à un attentat dont le but était d'exciter la guerre civile en armant et en portant (sic) les citoyens à s'armer les uns contre les autres; levé ou fait lever des troupes armées et enrôlé des soldats sans aucune autorisation du pouvoir légitime; exercé une fonction dans des bandes armées et provoqué des militaires à passer aux rebelles armés."

Ce verdict fut prononcé à l'unanimité. Il aurait pu ajouter, délit d'opinion et un salaire de 410 francs. Même des francs-or, c'était chèrement payé...

Si Melvil-Bloncourt échappa au peloton d'exécution, l'on ne saurait dire que la Presse l'y aida, car constamment, elle sonna plutôt l'hallali. Dans une lettre du 6 juillet 1872, il écrivait : "Le Figaro, l'année dernière, me dénonçait et demandait ma tête". Le "Petit Moniteur Universel", lundi 9 février 1874 n° 40, écrit dans une Dernière Heure : "Beaucoup de personnes se sont demandées comment M. Melvil-Bloncourt, ancien serviteur de la Commune n'avait pas été arrêté après la défaite de l'insurrection".

Dans "Paris-Journal", dimanche 8 février 1874 n° 38, sous le titre "Le cas Melvil-Bloncourt", le capitaine Grimal, ex-commissaire du gouvernement, écrit "... A M. Thiers, et à lui seul, la responsabilité du défaut de poursuites pour des crimes ou délits dont il avait une parfaite connaissance : personne, parmi certains rebuts du 4 septembre, n'avait sans doute intérêt à ce que Melvil-Bloncourt fut poursuivi, et il ne l'a pas été..."

Sans doute dut-il son salut à l'amitié que Thiers lui témoignait. Il devait cette amitié au fait qu'il avait voté le 24 mai 1871 pour le maintien de Thiers au pouvoir.

Un rapport de la Préfecture de Police sous la plume du policier M. Brissaud, daté du 6 février 1874, 9 heures un quart, soir, relate la filature dont fit l'objet Melvil-Bloncourt, de son domicile, accompagné "d'un autre mulâtre", à la gare de Lyon où il empruntait le train de Lyon-Italie. De son côté, la police helvétique ne démérita pas. D'un télégramme chiffré, N° 590, de Ferney pour Versailles, déposé le 9 février 1874, 5 heures 25 du soir, le commissaire spécial Ferney à Intérieur Sûreté Générale, annonce :

"Melvil-Bloncourt arrive à Genève hier au soir. Descendu chez Cluseret. Ce soir la proscription lui offre un punch chez Bellivier. Cluseret attend lettre Levraud pour partir".

En Suisse :

Réfugié en Suisse, il fit la navette, de Neuchâtel, Chêne et Genêve pour s'installer enfin à Genêve. Car il était toujours poursuivi et épié, comme les principaux proscrits, par les sbires du pouvoir. Si bien que, en 1879 encore, dans une correspondance à Nadar, il lui demandait de domicilier son courrier à cette double adresse : Chemin des Volandes (Maison Costes), 5e Chemin des Eaux Vives, Genêve, chez M. Pagès (aujourd'hui, ce sont des rues adjacentes).

Nous supposons que la dernière identité est empruntée au nom de jeune fille de son épouse, Françoise Pagès, née à Bâton Rouge, en Louisiane, contrairement à ce qui est rapporté par un acte de mariage de la mairie du XIe du 8 décembre 1859, qui la fait naître à Paris du diocèse de Bâton Rouge, daté du 5 Décembre 1835, prouve que Françoise Pagès y est bien née le 5 décembre 1833 de Jean Baptiste Pagès et de Colette Espinard.

L'on peut conjecturer que cette erreur de transcription est une séquelle de la Commune, car ce document évoqué est un acte de mariage rétabli en vertu de la loi du 12 février 1872, par la 2e section de la Commission dans sa séance du 22 octobre 1880. Que Pierre Bardin qui est l'inventeur de ces pièces et de la suivante soit ici remercié. Celle-ci est l'acte de mariage de Melvil-Bloncourt qui eut lieu en l'église Saint-Jacques du Haut-Pas. Elle est instructive, car fait apparaître le nom de ses amis de longue date. Parmi les témoins, nous relevons de Pierre Léopold Buchet de Cublize, Jules Prosper Levallois, Adolphe Edouard Bonnet, Auguste Caristie.

Nous ignorons quand et comment madame Melvil-Bloncourt gagna la Suisse, bien que G. Sarlat dans "Le Nouvelliste de la Guadeloupe" du 29 mai 1918, ait écrit : "Melvil, qui ne se faisait aucune illusion sur le sort qui l'attendait, quitta Paris pour la Suisse, avec la noble femme qui était sa compagne, aussitôt que fut déposée la demande en autorisation de poursuites sur le bureau du Parlement".

Toutefois, une Commission ayant été chargée d'examiner la validité des charges à l'encontre de Melvil-Bloncourt, dans le Cahier Rose (ainsi nommé par nous, à cause des marbrures de sa couverture) où étaient notées toutes les interventions des parlementaires, nous avons relevé une déclaration de Pierre Clément Eugène Pelletan, l'unique supporter de Melvil-Bloncourt, précisant que "Madame Bloncourt a chargé un député des colonies de protester en son nom contre les lettres de Cluseret."

(Cette protestation, si elle eut lieu, doit se trouver dans l'Analytique du Journal Officiel)

Pelletan faisait allusion à un courrier daté de Genève du 7 février 1874, jour de l'arrivée de Melvil-Bloncourt en Suisse, adressé à la commission, où en substance il réfute les charges prononcées :

"Je dois à la vérité de déclarer que tout cela est fort exagéré. M. Melville (sic) avec lequel je n'ai eu aucun rapport direct depuis la Commune, et pour ainsi dire pas pendant, vint me trouver en avril 71 sous l'empire de la nécessité. Comme beaucoup d'hommes de lettres à cette époque il était sans ressources."

Essayait-il de disculper son ex-collaborateur ? Si oui, Melvil-Bloncourt a dû trouver maladroit son témoignage. Il faisait de lui quelqu'un qui avait embrassé la Commune, par nécessité plus que par conviction.

Cluseret aurait-il interprété cavalièrement certains propos de Melvil-Bloncourt fondés sur une argumentation juridique de l'accusé ? D'un rapport circonstancié, Genève 10 mars 1874, sous la plume de l'indicateur Ludovic, nouslisons ceci : "...Le dîner donné par Cluseret a été très animé relativement à Melvil-Bloncourt, qui persiste à répondre aux félicitations qui lui sont adressées au sujet des poursuites autorisées par la Chambre, que les poursuites sont injustes, qu'il n'a occupé qu'un poste subalterne et que selon la justice, il ne devrait courir aucun risque."

Ouvrons ici une parenthèse pour présenter l'honorable correspondant de la Préfecture de police, "Ange Gardien" de la proscription genevoise. Nous savons infiniment gré au professeur Marc Vuilleurmier de l'Université de Genèvede nous avoir mis sur la piste de ce singulier personnage (3).

"Ainsi Josselin, ancien membre du Comité central de la Garde Nationale et Colonel Fédér, employé de commerce, qui, sous le pseudonyme de Ludovic, sera certainement l'un des meilleurs informateurs de la police, tant au sein de la proscription que, plus tard, chez les guédistes où il militera."

 

Histoire de la vie de Voltaire

 

Proscrit, intellectuel désargenté dans un pays étranger, que faire ? Sinon être serf de sa plume, dans l'espoir qu'elle vous rémunérera de vos peines. Dans un courrier du 31 janvier 1878 à Nadar, il presse son ami de lui trouver un éditeur, afin que l'ouvrage qu'il a entrepris paraisse àl'occasion du centenaire de la mort de Voltaire. Melvil-Bloncourt, en effet, avait eu l'ambitieux projet d'écrire une Histoire complète de la vie de Voltaire. Ce livre que lui-même appelait son "monument de Palenque", ne trouvant pas d'éditeurs parisiens en dépit de diligents intercesseurs, Nadar et Troubat, secrétaire de Sainte-Beuve, il le morcellera en six volumes.

Il écrit de Genève le 21 mars 1878 à Nadar : "Permets moi de revenir avec toi sur mon Voltaire. J'ai appris depuis un mois environ par Troubat l'échec que toi et lui aviez éprouvé. Cette nouvelle m'a quelque peu désespéré, mais non abattu. Comme c'était surtout l'énormité du livre qui avait effrayé messieurs les éditeurs, j'ai démoli entièrement ce monument de Palenque et de ses débris j'ai construit six ouvrages différents, tous les six sur Voltaire, bien entendu".

Ce sont : "Histoire complète de la Vie de Voltaire" par Raoul d'Argental, "Voltaire et l'Eglise" par l'abbé Moussinot, "Voltaire à Paris" par Edouard Damilaville, "Voltaire en Prusse" par l'abbé Thi*riot, "Cent et une anecdotes sur Voltaire" par Gaston de Genouville, "Le Bien et le Mal qu'on a dit de Voltaire" par Maxime de Cideville.

Dans la notice biographique qu'il a consacrée à Melvil-Bloncourt dans son "Dictionnaire des Contemporains", Gustave Vapereau glisse avec une perfidie bon enfant : "On lui a attribué la paternité de trois volumes intitulés, Histoire complète de Voltaire, Voltaire et l'Eglise, et Voltaire à Paris (1878) signés des pseudonymes de Raoul d'Argental, l'abbé Moussinot et Edouard Damilaville".

N'en déplaise à Vapereau, ces ouvrages ont bien existé et peuvent encore de nos jours être consultés à la Bibliothèque de la ville de Paris et à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Le 31 août 1990, le professeur Marc Vuilleurmier, - qu'il soit de nouveau remercié - nous écrivait : "Je vous signale que la plupart des ouvrages deMelvil-Bloncourt sont dédicacés par lui à Jules Perrier, un communard bibliophile, qui a légué ses collections à la Ville de Genève."

Dans l'exemplaire "Cent et une anecdotes sur Voltaire", offert ^ la Bibliothèque Publique de Genève, nous pouvons lire la dédicace suivante : "Douze exemplaires de cet ouvrage portent le vrai nom de l'auteur, M. Melvil-Bloncourt. Les autres ont paru sous le pseudonyme de Gaston de Génouville. Toutes les notes signées des initiales G.G. sont donc de M. Melvil-B."

Toutefois, si ce mémorial à la gloire du philosophe ne put paraître à la date espérée, l'anniversaire du centenaire de la mort de Voltaire, notre exilé fut un membre actif d'entre ceux qui en Suisse, à Ferney, préparaient la commémoration de ce grand jour. La police parisienne en fut informée par son fidèle argousin, Ludovic. On peut lire dans son rapport écrit de Genève, le29 mai 1878 : "Melvil-Bloncourt fera vendredi soir une conférence à propos du Centenaire de Voltaire. Il prendra pour texte le refus du Gouvernement de faire du centenaire une fête nationale et démontrera que ce refus est dû à l'influence du clergé. Il compte s'étendre préalablement avec Razoua, Arthur Arnould et Lefrançais."

La confirmation de la véracité de ce compte-rendu policier, on la trouve dans une lettre de Melvil-Bloncourt du 25 juin 1878 : "Je comptais sur une recette de 500 francs au moins; mais une pluie torrentielle est venue noyer ma pauvre conférence. Je n'ai fait qu'une cinquantaine de francs, tous frais payés."

Cela laisse entendre, également, que la vie de Melvil-Bloncourt, comme des autres proscrits n'étaient pas rose. L'on trouve cet écho chez Maxime Villaume : "Genève, Février 1873. Je suis revenu à Genève, après mon expulsion de Lausanne. La misère. Une quarantaine de francs par mois d'articles au supplément du dimanche de la Gazette de Lausanne. L'avenir n'est pas couleur de rose."

Nous trouvons cette même plainte en forme de supplique écrite par un ami, Elisée Reclus, de Vevey 14 janvier 1877, près de Louis Blanc pour :

1) "Un de mes amis et camarades de prison, Isidore Dolmont...

2) Melvil-Bloncourt qui est un de mes anciens amis, n'est pas très heureux depuis qu'on lui a fait l'honneur de le condamner à mort. Les leçons ne viennent pas en abondance et il est souvent malade. Ne croyez-vous pas que ses travaux précédents lui permettraient mieux qu'à personne d'écrire de temps en temps des correspondances sur le Mexique, Cuba et le Brésil ?"

Néanmoins, en dépit de toutes les vicissitudes éditoriales et de l'existence, son "monument de Palenque" ou sa "cathédrale de Cologne", autre épithète qu'il affectait à son oeuvre, paraîtra sous le pseudonyme de Raoul d'Argental.

Pourquoi ce dernier ? Melvil-Bloncourt l'avait choisi, car "le meilleur et le plus constant ami de Voltaire, né en 1700, mort en 1788, il devint le déposi taire de ses peines et de ses plus secrètes pensées." "L'Histoire complète de la vie de Voltaire" est ainsi dédicacée : "A mon ami G. citoyen de l'Ile de Cuba. Raoul d'Argental."

Qui est ce G ? Le professeur Oriol en donne la clé : "Melvil-Bloncourt désespérait de trouver un éditeur lorsqu'un riche créole de Cuba, Pedro Garc´a fit les avances des frais d'impression de l'Histoire de Voltaire."

La firme Sandoz ayant demandé à l'auteur de lui confier tous ses manuscrits, décidait ensuite d'imprimer à ses frais toute l'oeuvre. Melvil-Bloncourt fait merveille dans son "entreprise titanesque" comme il a qualifié son travail : surtout pour éclairer par ses annotations le lecteur non averti; à cet égard, redressant les erreurs ou omissions de ses prédécesseurs. Il a tout lu, sait tout sur Voltaire.

On peut dire que ses dix-huit mois de labeur ont donné naissance à une somme extraordinaire de précision et d'objectivité envers son modèle. Il justifie sa méthode dans une lettre à Nadar du 31 Janvier 1878 : "Les autres biographes sont ou des panégyristes outrés ou des détracteurs de parti pris. Je donne toutes les pièces, c'est à dire le dossier, et je laisse le public, c'est à dire la postérité - car elle a commencé par Voltaire - examiner et juger."

Si nous n'avons pu consulter les réactions de la presse helvétique à propos des ouvrages de Melvil-dû en dire, en nous reportant à un compte-rendu du journal "Le Rappel" du 25 octobre 1878, pieusement recueilli par la Préfecture de Police..."Ces divers volumes sont un véritable ouvrage de bénédictin, dû aux recherches à la fois sagaces et patientes de M. Melvil-Bloncourt...

Ce que ces cinq volumes représentent de travail et d'érudition est énorme, et cette publication ne peut que populariser la connaissance de cet homme admirable... Avec les volumes que nous sommes heureux de signaler, on connaîtra sans peine et sans fatigue l'écrivain le plus étonnant peut-être de la France du passé... Nul n'était mieux préparé que M. Melvil-Bloncourt pour un semblable travail, car nul ne sait mieux son Voltaire sur le bout du doigt."

Melvil-Bloncourt durant sa proscription ne fut pas seulement l'homme du cabinet que l'on pourrait croire. Sa générosité, également, éétait toujours en éveil, si nous osons dire. Il se faisait l'intercesseur d'exilés plus mal lotis encore que lui ou qui avaient le mal du pays. Ainsi, le 15 mai 1879, écrivait-il à Nadar d'intervenir en faveur d'un ouvrier horloger, Rebeyrolles : "Cet honnête homme a le plus vif désir de retourner en France, car il mange ici le peu qui lui reste, tout en travaillant comme un mercenaire... Toi qui as sauvé Bergerat lui-même, tu parviendras à sauver, c'est-à-dire à faire amnistier Rebeyrolles."

Projets inachevés

 

Délivré, disait-il avec humour, de sa "boutique voltairienne", Melvil-Bloncourt, toujours soucieux de la recherche de la Vérité comme son illustre modèle, Voltaire, commença vers septembre ou octobre 1878, àtravailler sur une Histoire coloniale, "A peine m'étais-je dépouillé de ma perruque à frimas" écrit-il, non sans humour. Dans le volume qu'il pensait consacrer à la Guadeloupe, un fait-divers sanglant l'a captivé. La tuerie dansla nuit du 6 octobre 1802 à Sainte-Anne de 23 personnes blanches, selon Sainte-Croix de la Roncière. De l'enquête prescrite par Lacrosse, deux blancs seraient les meneurs : Barse et Millet de la Girardiè re. Melvil-Bloncourt, lui, voudrait réhabiliter la mémoire de ces condamnés exécutés sauvagement, car son intuition lui dit, alors qu'il n'en a aucune preuve, qu'il y a eu un déni de justice. Il écrit :

"Il semble que ces deux hommes ont été des martyrs... Il serait beau à une victime des massacres de mai 1871 de venger, après 76 ans, la mémoire de deux martyrs de brigands de 1802 à la Guadeloupe."

C'est une sorte de synthèse de l'Histoire de la Guadeloupe et de la France qu'il voudrait esquisser là.

Entre autres projets laissés inachevés de Melvil-Bloncourt, on eût aimé lire un second manuscrit : son "Traité linguistique" (5). En effet, dans une chronique de la "Revue du Monde Colonial", "Les Antilles et la Revue des Deux Mondes", réplique à un article de Ed. du Hailly, il esquisse une étude de sociologie humaine comparée, en même temps qu'il montre que le parler créole ne lui était pas étranger. Il enseigne au détracteur de la société nègre la signification du mot poban (ou pur blanc) (6) mot que de nos jours encore bien peu d'Antillais connaissent, émaillant son propos d'un proverbe célèbre tiré de lalangue.

L'amnistie

 

En janvier 1879, le sujet de l'amnistie ou non occupe la Presse. Mais les divers projets s'élaboraient dès juin et juillet 1878. Le 2 août 1878, Melvil-Bloncourt écrivait de Genève à son frère : "Cher vieux frère, bonne réception du numéro de La Lanterne contenant l'annonce d'une décision gracieuse du Chef de l'Etat concernant MM. Elie et Elisée Reclus, Lachâtre, Brisson et moi. j'ignore ce qui a pu être fait de gracieux en faveur de ces messieurs, mais, en ce qui me concerne, cette nouvelle n'est qu'un gros canard couvé par quelque petite oie de l'immonde Presse Française."

Le projet de loi longtemps attendu par l'opinion fut enfin voté par 312 voix contre 136. La commission sénatoriale le repoussa ! Le 10 juillet 1880 une grâce-amnistie gracia tous les condamnés. Mais, Melvil-Bloncourt, malgré la répulsion qu'il éprouvait à s'abaisser devant la magnanimité rétive du pouvoir, sera amené a résipiscence pour des raisons de santé. Il accepte une "grâce" en mars 1879.

Il écrira : "Il est bien certain, que si je pouvais plus longtemps supporter le climat homicide de Genève ou être certain de gagner ma vie sous un ciel plus clément, jamais je n'accepterais de passer sous les fourches caudines de ces bourgeois féroces."

Avec l'amnistie, Melvil-Bloncourt rentre en France, passe les mois de juin et juillet à Paris, puis, retourne à Genève le 12 août pour régler son déménagement.

Il reviendra à Paris pour s'installer définitivement au 59 de la rue des Batignoles, immeuble qui existe encore.

Amnistié, Melvil-Bloncourt est ipso facto devenu éligible : sa candidature est de nouveau sollicitée. De Genève il écrivait le 29 avril 1879 : "...si les électeurs de Guadeloupe ne reprenaient pas leur ancien représentant, ils se rendraient implicitement complices des misérables qui l'ont envoyé à la mort."

Lisons à présent un extrait de la proclamation de Melvil-Bloncourt, laquelle est une sorte d'autoportrait, parue dans "L'Echo de la Guadeloupe", journal des intérêts coloniaux, n° 66, mardi 19 août 1879.

Paris le 13 juillet 1879 - A messieurs les électeurs de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) signataires de l'adresse qui m'a été envoyée.

"Mrs et chers compatriotes

C'est avec la joie la plus grande que j'ai reçu l'adresse par laquelle vous me faites l'inappréciable honneur de m'offrir la députation de la Guadeloupe, notre chère et commune patrie; je vous en remercie de toute mon âme, et à tout jamais je vous en serai reconnaissant. Permettez-moi de ne point faire de profession de foi : ma vie et mes actes sont connus, parlant mieux et plus haut que tous les vains écrits, toutes les fallacieuses promesses. Je n'ai été si impitoyablement frappé par la réaction triomphante que parce qu'elle avait reconnu en moi un républicain indomptable et éprouvé, un démocrate de vieille date, un continuateur constant, sinon brillant, de notre immortelle Révolution."

>H3>Fin de sa carrière politique

Mais la carrière politique de Melvil-Bloncourt était terminée au moins en filigrane, avant même son entrée en lice, le 31 août 1879. Au premier tour, il obtint 628 voix, au second... 140. Non seulement son passé d'ancien communard avait joué àson détriment, mais la botte de Jarnac lui avait étè décoché par un bretteur des plus inattendus : Victor Schoelcher ! D'une correspondance de ce dernier du 4 avril 1879, on lit : "En dehors de messentiments personnels qui, par suite de l'étrange inimitié que lui et son frère m'ont portée, ne lui sont pas du tout favorables, j'estime que le choix de Melvil-Bloncourt serait très funeste à notre cause. Il a trempé dans la Commune..."

L'une des raisons de cette volte-face peut être trouvée dans l'opinion de Lissagaray, mémorialiste insigne de la Commune : "Les autres, Ledru-Rollin, Louis-Blanc, Schoelcher, etc., l'espoir des républicains sous l'Empire, étaient rentrés d'exil, poussifs, cariés de vanité et d'égoïsme, irrités contre la nouvelle génération socialiste qui ne se payait plus de systèmes." Peut-être qu'aux yeux de Melvil-Bloncourt, également, celui qu'il appelait le Roi des Iles, était devenu, pour évoquer des évènements contemporains, un Quarante-huitard reconverti ! Au vrai, nous ignorons la raison de cette inimitié dont parleSchoelcher, lui un familier des Bloncourt. Monsieur Gaston Bloncourt nous a dit garder le souvenir du piano offert par Victor Schoelcher à sa grand-tante, Catherine, décédée en 1929.

 

Melvil-Bloncourt et la Commune

 

Il nous semble que l'on ne saurait clore nul essai de biographie de Melvil-Bloncourt sans esquisser un paragraphe qui pourrait s'intituler : Melvil-Bloncourt et la Commune. Qui étudie, en effet, sa vie, est surpris de découvrir que celui qui était livré par la Presse à la vindicte populaire sous le terme infamant de Communard, et par les plus bienveillants, de collaborateur de haut rang de la Commune par sa fonction et ses relations, ne figure dans aucun ouvrage consacré par les Mémorialistes du Mouvement; à Lissagaray près : "Un ancien membre de la Commune, Ranc, avait été nommé député par Lyon, on le condamna à mort; de même, un autre député, Melvil-Bloncourt, attaché à la délégation à la guerre..." ("Histoire de la Commune de 1871", P.-O. Lissagaray).

Accessoirement, nous découvrons Melvil-Bloncourt à la rubrique "Communards" photographié en pied au catalogue d'une exposition consacrée à Etienne Carjat au musée Carnavalet. Pour avoir mieux, il nous faut encore revenir à une enquête du 25 avril 1874 (cote 77), adressée à la 1ère division militaire : "Monsieur le Commissaire, je suis chargé de suivre contre le nommé Bloncourt (Melvil) député de la Guadeloupe, et j'apprends que cet inculpé, domicilié pendant la Commune rue de Navarin, 19, chez Martel, artiste dramatique, a donné là, pendant la période insurrectionnelle, des soirées auxquelles étaient invités des officiers supurieurs insurgés. Les propos les plus exaltés y auraient été tenus et on aurait entendu Bloncourt s'écrier : "que la Commune n'avait pas de leçon à recevoir de Versailles."

L'on se demande si les Mémorialistes ont voulu seulement considérer les membres de l'Etat-major communaliste comme les plus dignes d'être cités. Nul ne s'est avisé alors de dire quel fut vraiment son rôle près de Cluseret ou d'autres communalistes marquants, même après son départ du Ministère de la Guerre. Le Général Cluseret lui-même, si prolixe dans ses Mémoires, n'en souffle mot. Mais, de Cluseret cela ne saurait étonner, car il s'agissait d'unhomme à la personnalité sinon insaisissable, disons ondoyante pour user d'un euphémisme, si nous croyons l'opinion de ceux qui l'ont côtoyé ou sévèrement jugé.v Ou bien, se chargeaient-ils de décerner des satisfecits à eux-mêmes ?

Ainsi Rossel écrit, dans "Mon rôle sous la Commune" : "Le personnel du Ministère de la guerre se composait, au début, de Cluseret et de moi, avec deux ou trois flâneurs qui formaient la suite de Cluseret".

Nous relevons, cependant, un détail qui ne semble pas manquer d'intérêt, dans le Tome I, page 131, des Mémoires de Cluseret : "tout ce travail s'était accompli entre Mayer et moi pour tout ce qui concernait l'organisation de l'infanterie. L'agent dont je dois taire le nom pour ne pas le livrer à Versailles, m'aida puissamment à rendre les divers services administratifs indépendants."

Avec le professeur Marc Vuilleurmier nous pensons que la vie des nombreux communards proscrits en Suisse reste à écrire.

Le décès

 

Après six années passées dans la Confédération, et peu de temps après son retour à Paris, Melvil-Bloncourt s'éteignit le 9 novembre 1880, mort probablement davantage des privations de l'exil que de l'ingratitude de ses compatriotes et amis. Nous ne saurons jamais ce qu'il a dit à Nadar. Dans une lettre du 23 octobre 1880, d'une écriture déjà défaillante, il écrit : "Comme je puis (sic) bouger étant fort malade je te serai obligé si tu peux disposer de quelques instants, de venir me voir au plus tôt car j'aurai besoin de causer avec toi."

La Presse parisienne se fera l'écho unanime de son décès, de même la Préfecture de Police l'aura eu à l'oeil jusqu'à son ensevelissement.

"Dépêche télégraphiée. Préfecture de Police Municipale, le 11 novembre 1880, 2h45, 17ème, à chef de la Police Municipale.

Enterrement de M. Melvil-Bloncourt rue des Batignoles, 59.v Le monde commence à venir, mais en petite quantité. Tout au plus 20 personnes stationnent dans la cour et aux abords de la maison. Tout est calme. Sign* : Pelardy."

Voici du journal "Marseillaise", 12 novembre 1880, "Le cortège s'est formé à la maison mortuaire, 59, rue des Batignoles, et de là, s'est dirigé par la rue Marcadet, au cimetière Saint-Ouen. Une couronne d'immortelles, entouré d'un ruban rouge, portait l'inscription : "A mon mari". Dans l'assistance nous avons remarqué les citoyens Edmond Lepelletier, Victor Simond, et L. De Perthou (du Mot d'Ordre), Nadar, Carjat, Martel (de la Comédie-Française), Louis Dumoulin, Jaclard, Picchio, etc."

Du "Rappel", novembre 1880, "Les obsèques de Melvil-Bloncourt ont eu lieu hier au milieu d'une foule qu'on peut évaluer à deux mille personnes. Le deuil était conduit par MM. Arthur Arnould, Kuffner et Songeon. Dans l'assistance, on remarquait un assez grand nombre d'anciens membres de la Commune et des rédacteurs de journaux républicains. Au cimetière un émouvant discours a été prononcé par M. Arthur Arnould. L'assistance s'est séparée aux cris de : Vive la République."

S'il fallait faire une revue de cette Presse parisienne, ce serait un florilège de panégyriques à la mémoire du d*éfunt dans lequel chacun, adversaire ou ami, reconnaissait les qualités intellectuelles et morales de Melvil-Bloncourt.

Après sa mort il fut encore louangé. A. Becquet, dans ses "Profils de Communards", le 3 janvier 1881, écrivait dans l'Etoile Française, "Ce libre-penseur qui a été enterré civilement, avait une admiration absolue du sans-culotte Jésus-Christ. Il n'a jamais fait de mal à personne, n'a eu de rancune contre personne, et ses mots contre les camarades que la fortune éloignait de lui, n'étaient que des satisfactions données à sa nature éminemment éprise d'aristocratie".

Le 21 février 1887, "Le 19e siècle" rappelait ses lecteurs au souvenir de sa mémoire : "Melvil, ainsi que la plupart des hommes de la génération à laquelle il appartenait, fut un républicain très sincère et très ardent, mais c'était surtout et foncièrement un homme de lettres."

Laissons la parole au fidèle Nadar qui décrit ainsi leur première rencontre dans le jardin du Luxembourg :

"Dans ce temps-là, le jardin du Luxembourg appartenait à la petite bande bruyante et un peu despotique que nous avions créée au milieu des diverses du Quartier Latin. Il y avait le journaliste Paul Crubailhes et tous lesautres dont le public ignorait complètement les noms, Murger, de Banville, Veyne, Songeon et son copain decollège, Baudelaire, Asselineau, et dont les survivants persistent ^ ignorer quelle peut être la différence entre le 5 et 3 % (7).

Melvil-Bloncourt devait venir à nous. Il nous fut amené par un grand diable de mulâtre qui vivait à côté de nous, Privat d'Anglemont."

Et pour finir, ce médaillon : "Comme il était précisément le contraire de ces politiques qui se font de leur conscience une industrie, avec leurs opinions des rentes, Melvil-Bloncourt était dès lors marqué pour l'éternelle lutte, pour la persécution, la pauvreté : pour le sacrifice".

Melvil-Bloncourt fut donc enterré au cimetière de Saint-Ouen. La concession où reposait sa dépouille allait être renouvelée jusqu'en 1896 (8), année au cours de laquelle, probablement, son épouse avait quitté la France, car feue mademoiselle Yolande Bloncourt, nous a dit, que, enfant, elle l'avait vue à Pointe-à-Pitre chez les siens.

Après 1896, la dépouille de Melvil-Bloncourt, selon la formule administrative, "a été remise dans l'ossuaire commun." Que l'on eût aimé voir fleurie la tombe d'une si grande et belle figure. Les ascendants et apparentés de Melvil-Bloncourt peuvent tirer une légitime fierté de celui qui durant toute sa vie sut honorer leur devise : "Mieux vaut mourir que salir".

Il appartient au lecteur à présent, de dire si la personne de Melvil-Bloncourt méritait d'être exhumée cent dix-sept ans après sa mort.

 

NOTES

1) En fait il s'agit de Creuillette Ludovine Leblond, devenue Bloncourt, née au Moule en 1787.
2) "Revue des Deux Mondes", 1863, pages 840 à 86 , Saint- René Taillandier. "Opinion Nationale", 14 Décembre 1862, Jules Levallois.
3) "Les exilés communards en Suisse", In "Cahiers d'histoire, T. XXII, 1977, n° 2, p. 153-176.
4) Tous, communalistes célèbres, proscrits en Suisse.
5) Un écho de "Paris-Journal" du 9 mai 1874, écrit : "Le nègre Melvil-Bloncourt réfugié à Genève tient absolument à faire parler de lui. Il vient de publier une brochure, à laquelle l'autorité interdit l'entrée en France. Cette brochure a pour titre : Les Rouges et les Pâles". (Nous n'avons pas trouvé ce pamphlet, probablement écrit sous un pseudonyme. N. de l'auteur).
6) dans sa "grammaire créole" Germain donne comme définition du mot Poban : Européen de condition modeste, petit commerçant ou flacon à huile de forme spéciale usité chez les seuls Pobans.
7) Nous supposons que Nadar fait allusion à des taux de rente (sans garantie !)
8) Cette précieuse et

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