POÈMES SAHARIENS -1976
Gérald Bloncourt
1976
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Gérald BLONCOURT est l'un des premiers journalistes a avoir suivit la guerre menée par le Front Polisario contre les troupes marocaines au Sahara Occidental. Armé de ses seuls appareils photographiques et de son stylo il a vécu, lors de son premier voyage, au milieu des combattants et de ces ethnies, durant un mois. Il a écrit ces poèmes, dédiés à Nedjma , sur un cahier d'écolier, entre les dunes, les convois de réfugiés, entre les brûlés des bombardements au napalm et les accrochages militaires, sous les regards-oasis des enfants orphelins, au milieu des visages graves des femmes-soldats, dans le ventre chaud de sable du Sahara . Son témoignage sur cette sale "guerre oubliée" est l'un de ceux qui ont fait prendre conscience à l'opinion publique, de ce drame qui se déroulait à quelques kilomètres de la conscience. mondiale
pour faire Nedjma
Il faut une palme
un peu d'eau
il faut du sable fin
très doux
il faut du soleil
des dattes
du thé il faut un port de reine un rire clair
il faut aussi une petite larme
de temps en temps seulement
bien sûr
il faut surtout ses mains
ses doigts agiles
et frêles
il faut une petite pointe
d'humour
beaucoup de tendresse
ne pas oublier quelques fleurs
les plus petites
mais les plus belles
en guise de
de bonsoir
Par la fenêtre
tu es entrée
en riant
Puis
tu t'es assise
sur mon lit
Tu m'as reproché
de t'avoir télé-pensé
jusqu'à Paris
avenue de Versailles
Tu m'as grondé
de tévoir télé-klaxonné
d'avoir télé-monté
l'escalier qui mène
chez toi
Puis tu m'as pris la main
Tu étais joyeuse
heureuse
émerveillée que j'ai pu ainsi
sans crier gare
te télé-guider
jusqu'à Alger
Tu télé-visais
les moindres recoins
de ma chambre
et de mon équipement
Tu télé-scrutais
mon âme
Et puis d'un coup
tu t'es trouvée
télé-blottie
au creux de mon coeur
bien au chaud
étonnée
tiède
souriante
Tu as fermé
les yeux
et je t'ai télé-glissée
dans ton lit
télé-calinée
mon amour...
28 Avril 1976
Minuit...
Alger respire encore...
La nuit moite n'arrive pas
à étouffer tous les bruits...
Pourtant je perçois le frôlement
des feuilles
dans l'étonnant et merveilleux
jardin
où se blottit
l'hôtel...
Parmi les étoiles
qui se bousculent
là-haut,
il en est une,
à laquelle j'ai donné ton nom...
Je reviens des ruelles
à n'en plus finir
Je remonte de la foule
d'où émergeait de temps en temps
une femme voilée
mystérieuse...
...peut-être toi...
Alger respire encore
lourde d'Histoire...
Encore un jour à mettre en compte...
Alger-escale
Alger-transit
Alger-la-Blanche
Alger avant Tindouf...
...Bientôt le sable chaud
l'odeur-pétrole du napalm
des corps sans vie
les yeux vides
ouverts sous un ciel trop bleu
les détonnations sèches
des armes automatiques
les explosions sourdes
fracassantes
coléreuses
Un cri d'homme
deçi-delà
et le silence pesant
étouffant
désavoué...
Des fleurs!!!
il me faut de fleurs
plein les mains
et la tête
plein le coeur
plein les poumons
des fleurs à respirer
à mettre en pot
en terre
en gerbe
La nuit s'ouvre
comme une femme
douce
immense...
C'est une veillée d'armes
Alors on pense
on compte
on additionne
on se souvient
on regrette
on s'en veut
on s'en fout
on comprend...
On aime surtout
on aime grand
comme le vide
qui vous guette...
sans crainte
sans maudire
sans médire
sans rancune
sans façon...
On aime tranquillement
gentiment
Alors Toi
dis à toutes et à tous
qu'ils sont ce soir
à la fête
dans mon coeur...
que c'est pour eux
que je suis là
pour eux
et tous les autres
que je ne connais pas
que je ne sais pas nommer
que je ne peux pas nommer
que je ne veux pas nommer
...Pour eux
pour Toi
pour moi
afin de voir
de dire
de crier...
Qu'ils sachent que c'est là
ma vie
mon métier
mon urgence
ma force
ma responsabilité
ma dignité...
Il monte de la ville
un souffle d'homme
une plainte de femme
un sommeil d'enfant...
Il monte de la ville
un peu de mon pays
de ses cannes à sucre
de ses cayes
comme une odeur de tafia
comme un fond de tam-tam
Il monte de la ville
des souvenirs d'ébène
de gaillac
de manguier
des rires
des claques dans le dos
des tremblements de terre
des palmiers et des lianes
des sapotilles
des quénêpes
des corossols
des mangots
des cachimans
des cassaves
des boborits
et du clairain
Il monte de la ville
l'amidon
l'akassan
le sirop
les goyaves
le piment doux
et le choux palmiste
Il monte de la ville
la rivière Moreau
aux écailles d'argent
Bainet, Jacmel,
Marigot, Pétionville,
Kenscoff, Furçy,
et le Morne Bourette
et le Bassin-Bleu.
Il monte de la ville
le Morne l'Hôpital
et le Fort Mercredi
et Port-au-Prince
et son Ile de la Gonâve
et ses quartiers
Turgeau, Lalue,
la ruelle Piquant...
Il monte de la ville
les Cinq Glorieuses
de Janvier 1946
Il monte de la ville
mon sang caraïbe
Il monte de la ville
Jacques Stephen Alexis
René Depestre
Kesler Clermont
Gérard Chenet
et tous les autres
mes frères
Il monte de la ville
la grève de Trieux
les voix de St-Nazaire
les courées de Roubaix
les corons de Béthune
les dockers du havre
les défilés de la Bastille
Il monte de la ville
les oeillets de Lisbonne
les deux frères de Ceuta
l'affiche de Madrid...
La nuit s'efface
un jour s'en vient...
dans la foule des hommes
prend ta place
et
marche…
Je crois en toi...
Je crois en Toi comme je
crois
au fond des mers
à l'écume et aux lacs
à l'eau de pluie
à l'eau des puits
et des fontaines
à l'eau pour boire
à l'eau goutte de rosée
Je crois en Toi comme je
crois
à la terre
à ses sillons
à ses forêts
et à ses fleurs
à ses montagnes
à ses cimetières
Je crois en Toi comme je
crois
aux épaules des
hommes
à l'intelligence des
femmes
aux rires des enfants
aux peuples différents
à la fraternité
à la Liberté
Je crois en Toi comme je
crois
au jour et à la nuit
au vent
à la tempête
aux saisons
à la neige
au Printemps
poème dur
A écrire en grincent les dents
à écrire sans larmes
sans faiblesse
sans pitié
A écrire même devant les
brûlés au napalm
même devant les
enfants fiévreux
couverts de mouches
A écrire sans relâche
à écrire en affûtant
en aiguisant
son âme
A écrire en visant
à écrire lucidement
à écrire pour changer le
Monde
poème tendre
A marquer d'un trait
pour compter les jours
les minutes des heures
les secondes des
minutes
de chaque seconde
qui aura passé
pour te retrouver
A marquer d'un son
pris à l'air
que je chanterai
quand je te verrai
A marquer des bras
dont je t'entourerai
quand je reviendrai
poème nain
Je
t'
aime
poème souple
en sautant
en courbant le dos
pour sortir de la tente
A dire en courant
d'une dune à l'autre
en s'accroupissant
pour boire le thé
A dire en luttant
contre le vent de sable
A dire en glissant
la nuit
parmi les étoiles
et les ennemis
Ce soir est à toi...
C'est la tempête
poussière
vent
bourrasques
rafales
les lames de fond du désert
se déchaînent dans d'apocalyptiques
rugissements
la flamme vacille
se meurt
renaît
mais ce soir est à Toi
ce soir est à nous
je viens de vivre mille ans
de misère
de grandeur
de dignité
de politesse
d'amitié
j'ai cueilli pêle-mêle
émotions
récits
images
mais ce soir est à Toi
laisse-moi te l'offrir
Je voudrais être humble
je voudrais porter
sur mon dos
la pauvreté du monde
la terreur des enfants
je voudrais chasser toutes les mouches
des plaies
Ce soir est à Toi
Ce soir est à nous
mon amour
par-delà la distance
allongée sur ton lit
le coquillage de ton oreille
entends
ma voix
Je suis si près de Toi
ce soir
quelque part
où l'on meurt
en pleine guerre
oubliée
je suis là près de Toi
quelque part
pour vivre
je suis là
avec Toi...
Angoisse
L'odeur-pétrole du napalm
l'odeur du sable chaud
qu'apporte le vent froid
l'odeur des silhouettes
et des murmures
dans la nuit
Aujourd'hui
des avions ont déchiré
mon coeur
ils ont volé le temps
respiré notre air
ils ont percuté la ligne d'horizon
avant de tourner
vers le soleil
j'ai su comment s'épelait
le mot angoisse
Il est tard avenue de Versailles
dors
mon amour
je veille sur toi...
Au fil du temps...
Les jours s'inventent
les heures s'oublient
chaque frisson de vent
trace sa ligne
Rien n'est plus fort
que le silence
rien n'est plus sûr
que le désir de l'ombre
pas même l'oubli...
Te fermer les yeux
Te fermer les yeux
avec mes lèvres
te fermer le coeur
pour que seul
j'en sache les secrets
te fermer la bouche avec la mienne
t'ouvrir comme s'ouvre
un bouton de rose
te respirer
t'appeler
te chanter
te jouer
comme un violon
avec l'archet de mon désir
te peindre
te sculpter
te récolter
comme une grappe de raisin
te presser
te faire en vin
pour te boire
et m'énivrer
te mûrir encore au soleil
pour te récolter à nouveau
te laisser couler la chevelure
et m'y noyer
te dire enfin en tremblant
presqu'en mourant
je t'aime...
Saïd...
Il est resté
les lèvres ouvertes
sans rancune
allongé sur le sable
Sa gandoura
avait une tâche
comme un hibiscus
vers l'épaule
Il était beau
la peau brûlée
par le soleil
Saïd Oualda
ne riera plus
il ne servira plus le thé
à son Ami...
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VOIR AUSSI : http://www.bloncourt.net/pictures/polisario/index.html