HAITI : MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBES
Gérald BLONCOURT
HAITI
HAITI : MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBES
Réunis en 2015
En mémoire de Jacques Stéphen ALEXIS et de ses compagnons, disparus quelque part dans le Nord-Ouest d'Haïti, en mémoire des 60.OOO victimes et des inombrables boat-poeple, en mémoire des 500.000 trépassés, du fait de la misère, de la maladie, et de la terreur, en mémoire de tous ceux et toutes celles, vieillards, adultes, adolescents, enfants, tombés sous la dictature des Duvaliers père et fils, ces poèmes écrits au fil d'un demi-siècle de luttes menées pour que ces crimes contre l'humanité ne demeurent pas impunis.
Paris ce 15 Juillet 1999
Gérald BLONCOURT
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En guise de préface...
Ce poème D’ANDRÉ LAUDE
« Un vent de soleil se lève »
à GÉRALD BLONCOURT
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Un homme
dans la violence du temps
dans la violence de la mémoire
épine au flanc d’un Christ vaudou
Un homme
de terre et d’eau
de grandes feuilles vertes et d’oiseaux
plus vastes que toutes les mers réunies
et la cuite de Baron Bravo.
Un homme qui fait langue
de tous bois
Au pays des Loas
et des longues nuits de tyrans
Un homme jeune coq
de foudre et de roc
frère de ma terre d’Oc
fouilleur de chaque semeur de merde
et de feu
La vie vaut bien qu’on la perde
un soir de pleine lune au coin d’un bois
alors qu’on traîne la savate en compagnie
d’un certain André Breton
sans domicile fixe et sans vraie profession
sinon celle d’orpailleur
au bord du fleuve cher à ce vieil Héraclite
Un homme qu’Éros prend au piège de ses filets
bleus
Un homme qui à l’image du Petit Poucet
sème ses yeux
de braise et de crucifix
le long du chemin des sans chemise
Un homme qui torse nu dans la forge du verbe
chante au milieu des étincelles
comme chante la sentinelle au rempart des Barbares
pour croire à sa part de ciel
Un homme fou de femmes fou d’alcools
de peintures pures
Un homme armé jusqu’aux dents de colère
parce qu’il y a du crime dans l’air
Un homme peau noire peau rouge un homme
qui danse avec les lucioles
les fusils des rebelles, les astres et les poissons
et le pollen
Un homme qui hurle « je hais » parce qu’il aime
plus que tout la grande marée noire, la jeune mariée, l’abeille
le sang dans les veines
de la grande forêt
Un homme très beau qui vieillit bien
comme le vin et l’espoir
Un homme en guerre — Guerre de dix mille ans —
Parce que vivre à genoux n’est pas vivre, parce que dans son corps à moitié
c’est tuer l’autre dans le désir
le délire des sens
un homme en partance par-delà les « mornes »
Vers le grand large
où gerbent la lune et la baleine
Un homme de ruines et d’opiniâtres renaissances
aux ongles de glaise
au front creusé par la fièvre corsaire
Un homme immense — une sorte de « nuage en pantalon »
Une chanson
à minuit à Port-au-Prince
un éclair de crabe
aux dures pinces
un gavroche caraïbe le tabac à la lèvre
qui défie les macoutes
Tout va bien la Poésie s’arc-boute
aux larmes des fragiles
Nul homme et lui moins que tout autre
est une île
A Pile ou face je joue Haïti glorieuse aurore
Je sais d’où je parle Je sais de quoi je cause
de la rose qui s’acharne à fleurir parmi nous les morts
mal enterrés aux quatre coins du pays
Paris le 16 Février 1991
André LAUDE
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Ma ville retrouvée
J’ai retrouvé Port-au-Prince
dans le même sanglot où je l’avais quitté
J’ai retrouvé ma ville
ses détails géographiques
ses maisons centenaires
ses espaces citadins du centre
Seuls les abords ont démesurément grandi
gonflé comme le ventre d’un enfant malade
Immense bidonville aux tuiles-ferblancs-rouillés
à l’infini
visions dantesques d’un cauchemar quotidien
Le morne l’Hôpital est blessé
d’un triste amas de pauvres masures
Le Champs-de-Mars a des rides
et la misère cogne les visages d’enfants
matraque celui des femmes
et ferme ceux des hommes
Visages graves
sans sourire
inquiets
anxieux. ..
Port-au-Prince
mon Port-au-Prince
tu es fatigué
épuisé voûté
Mais ce sont pourtant
les odeurs de ma jeunesse
de mes espoirs
Tout ce que j’avais imaginé
je l’ai retrouvé
Tout ce que j’avais pensé
construit en moi
au travers des informations
venues du coeur de la terreur
et des luttes pour la liberté
je l’ai retrouvé
Qui a dit que je serais déçu
que je ne comprendrais pas
Vils colporteurs des défaites de l’amour!
Merde à eux
idéologues négatifs
traîtres aux déchirures de l’âme!
Oui
j’ai revu mon sol
ma patrie et ses arbres
Le premier à recevoir mon baiser
fût ce chêne au feuillage touffu
poussé là
à Delmas
Il a bougé dans le ciel
dès que je l’eus touché
et j’ai senti au fond de moi
que ses racine étaient miennes
J’ai compté les étoiles
puis j’ai cueilli une fleur
elle était jaune pâle
comme quelquefois le sourire de ma fille Ludmilla
aussi fragile que ses deux ans
J’ai parlé à un chien noir et maigre
qui a semblé me reconnaître
Mes pieds ont aimé cette terre
qui effaçait l’exil
J’ai mesuré l’ampleur de ce moment d’Histoire
Je sais bien qu’il est l’heure des défaites possibles
mais c’est tellement l’heure de la vraie Liberté
l’heure à tout faire par tous
pour sauver l’essentiel
l’heure responsable et grave
pour chacun d’entre nous...
En ce qui me concerne
j’ai remis ma vie à l’heure de ton destin
Port-au-Prince
ma ville retrouvée...
Port-au-Prince- Décembre 1986
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L’homme montagne
de Furçy la mémoire
L’après-midi était un jeudi de décembre
l’an quarante-et-un d’un exil achevé
Sous mes yeux étonnés et refusant d’y croire
le plateau de Furçy de lointaine mémoire
vibrait
à cogne-coeur
au fond de mon émoi
Au loin
Morne Bourrette sur la Selle adossé
massif décapé tondu chauve rasé
Effacées mes cascades!
Comment passe le temps qui réduit les grandeurs que le cœur a fait vastes ?
Mon Furçy de toujours
Mon doux Furçy d’amour
zébrant mon souvenir mesquinement réduit
dans ses vastes proportions
La chapelle était morte d’un cyclone rageur
la seconde née n’était pas sa vraie soeur
autre lit autre père autre temps
J’avais mal et pleurais
lorsque Tit-Jo surgit
l’ancêtre de mes rêves
Il était là le Nègre
chouqué sur ses racines
statue de mon passé
ayant doublé son siècle
avec ses cent-vingt ans
J’ai retrouvé Tit-Jo et mes premiers moments
La chapelle a sonné six coups
C’était l’heure d’un destin...
17 décembre 1986
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Jacmel
J’ai hurlé à la dixième étoile de ma mémoire
J’en ai quarante-et-une au front de mon exil
Soixante bien sonnées au comptes de mes rêves...
Gloire aux quatres saisons qui ont offert l’Automne
et la saison possible de te revoir un jour
Jacmel
Jacmel mon vrai berceau
mes jeunes pas et mes vertes années
Jacmel mon hibiscus mes couchers de soleil
mes plats de lune au goût de mes premiers émois
Jacmel
Jacmel-mes-cyclones engrossé de Gosseline
pisquettes cassaves et rorolis sucrés
tambours lointains des mornes
et balcons de dentelles
crochets en fer forgés
ayant signé chacun sa servitude utile
sur sa porte de bois
Jacmel-les-galeries et ses tôles ondulées
Jacmel au demi-siècle d’un enfant revenu
Où sont partis les miens?
La mort a fait son oeuvre
et parmi les vivants j’errais chez les fantômes...
Gloire à ces tendres accords qui sonnent dans 1’ oubli
Gloire à ces sons de cloches qui teintent dans le temps
Gloire au plus haut des cieux au prénom de mon père
Gloire à toi
Yves le grand
ressuscité aujourd’hui des cendres humides
de mes larmes
mon papa à cheval
qui fit de moi un arbre aux racines profondes
un arbre de demain que hante le passé...
Haïti. Décembre 1986
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Jour de l’an
1987 une date et l’infini comme autrefois pour étaler en mouvance bleu-vertes la blanche étincelance de l’écume obstinée le ressac inlassable gris berce ma mémoire la plage se fond à l’horizon l’air-libre-pur d’un monde scintillant point stellaire de l’espace horloge-galaxie de sable fin trace les pas du temps un à un effacés dans l’attente émouvante éprouvante d’être et de surexister
Qui a parlé d’automne de feuilles mortes et de pelles? qui a chanté l’hiver ses angoisses et le gel? minuté ses matins? assaisonné ses soirs? installé ses palaces? baladé ses touristes yankee aux ventres gros? fabriqué ses rencontres et ces dîner copieux?
hein?
Qui s’est permis d’évoquer le printemps ses bourgeons ses baisers et ses amours naissantes?
Il est une saison dans mon regard que je nomme Pays-terre-native-et-natale il est tonnerre du ciel cet an nouveau ravissant juvénile et j’aborde en tremblant de lumière ruisselant de larmes l’an 1 de mes espoirs l’an nouveau d’Haïti retrouvée
1er Janvier 1987- Cap Haïtien
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Pourquoi ?
Pourquoi
la bulle mousse
sous la rousse
couche
de ta bouche belle?
l’espoir tousse
glousse
sous la lune
je te pousse
te touche
t’écartèle
et te pèle
douce
la courge
rouge
bouge
et j’appelle
telle qu’elle
ma belle
pour lui dire
en délire
qu’elle se mire
dans la mire
acide
lucide
des rides
de mon front
Haïti- Décembre 1986
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à Sabine ma sœur d’étoiles...
J’ai trouvé ce soir
les clefs d’un sémaphore
pour guider mon voyage
aux sources de ma vie
J’ai trouvé ce soir
au doux silence enduit
de ta présence exquise
la trace de tes pas
J’ai suivi l’ombre
de mes yeux égarés
à la silhouette de ta voix
J’ai mûri le fruit
qu’en deux j’ai partagé
lorsque minuit sonna
Qu’il est des rêves étranges
que celui de tes doigts
qu’il est doux de sentir
un peu de ton émoi
La ville aboie par un chien affamé
des voix montent lointaines
et le cri d’un enfant meurtri
ce dimanche de décembre
désenvoûte mon songe
qui n’était que pour toi
Je sais qu’elles sont légions
de tristes solitudes
de morts prématurées
de souffrances amassées
et de désespérances
je sais qu’en plein enfer
sont ta lutte et la mienne
et que viendra demain..,
Port-au-Prince- un dimanche de décembre 1988
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pour toi que je n’ose nommer
Je reviendrai un jour
au-delà de toi-même
je te mettrai au front
un baiser
et pour capter ta joie
j’écarterai le calice
d’une fleur
je saurai bien ce temps
te dire avec pudeur
comment j’ai délivré
mon cœur
Il est temps de tendresse
temps d’aimer
tant je suis charmé
tant je suis bonheur
et nous ferons le tour
du monde
tour de taille
tourne fol
est mon espoir
Haïti-Décembre 19 8 6
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J’ai trouvé…
J’ai trouvé ce soir
les clefs d’un sémaphore
pour guider mon voyage
aux sources de ma vie
J’ai trouvé ce soir
au doux silence enduit
de ta présence exquise
la trace de tes pas
J’ai suivi l’ombre
de mes yeux égarés
à la silhouette de ta voix
J’ai mûri le fruit
qu’en deux j’ai partagé
lorsque minuit sonna
Qu’il est des rêves étranges
que celui de tes doigts
qu’il est doux de sentir
un peu de ton émoi
La ville aboie par un chien affamé
des voix montent lointaines
et le cri d’un enfant meurtri
ce dimanche de décembre
désenvoûte mon songe
qui n’était que pour toi
Je sais qu’elles sont légions
de tristes solitudes
de morts prématurées
de souffrances amassées
et de désespérances
je sais qu’en plein enfer
sont ta lutte et la mienne
et que viendra demain..,
Port-au-Prince- un dimanche de décembre 1988
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J’aime ce pays…
J'aime ce pays dans sa totalité ses habitants et sa merde j'aime ses fantômes en lisière despourritures-masures j'aime ses mornes et l'odeur amer-sucrée des caniveaux ses regards surdoués de beauté je colle aux murs-fresques qui en disent plus long que tous nos discours à l'avenir-espoir je marche de tous ces pas pieds-nus dans la poussière de ses rues démembrées j'aime ce pays en moi de toujours ourlant mon âme hurlant ma vie dans le ventre de ce pays sur la peau de ce pays j'ai ton nom dans mes os et ta voix dans la mienne j'ai ma main ouverte au monde pour mon pays ma colère corde-à- noeuds pour grimper aux étoiles j'ai ma lutte à contre-courant des habitudes pour mon pays sans doute ai-je vécu trop près en demeurant si loin sans doute emporterais-je ma Sabine-mémoire pour être plus près de mon pays sans doute irais-je au loin dans l'ultime décade me battre pour mon pays emmenant avec moi ses yeux-diamants et ma force invincible d'aimer...
Haïti- Delmas, 19 Avril 1987
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Je hurle à la lutte…
Je hurle à la lutte ô mon pays ma terre-natale Saline-cicatrice bidonvilles-crucifiés de l’aube aux nuits fétides chiens efflanqués affamés immondices désaffectées tôt ou tard dans l’obs-curité mensongère cogne ma mémoire sur les tôles ondulées aux vibrations d’orage bave ma rage de gangrène infectée odeurs puantes de caniveaux de mort prématurée d’enfants vides aux regards-remords lancinantes accusations d’un monde qui s’accouple avec l’Absurde villes-fantômes aux frontières de l’oubli mornes décharnés fièvres circulantes des tap-taps engrossés de détresses humaines d’ici de là-bas et d’ailleurs de Delmas défoncé sans autre cause que la folie meurtrière de cons hallucinés Carrefour Bizoton crevant sous la griffure empoisonnée d’une faim coriace permanente misère-vampire terreur des ruelles sans eau au goût de boue d’incertitudes gourdes aux lois du dollars piastres noires de crasse mains tendues et mendiantes au ventre plein d’un enfant à naître gousse d’ail des yeux implorant une aumône crevant l’incroyable l’insoutenable douleur de mon être angoissé toute ma rage ma colère se gorge de sève d’injustice vérole pour abattre la dysenterie des consciences ô mon pays d’azur palmes mornes écorces et racines mon doux pays d’amour mer bleue de tambour et d’espace pourquoi l’univers carcérales brûle-t-il tes vertus cancer d’injustice concert de détresse comment ne pas rugir et se battre ô mon peuple affamé pilé comme maïs pillé spolié écrasé torturé je donne mon baiser aux luttes populaires au Parti Soleil de Roumain d’Alexis de tous ceux aujourd’hui debout de tous ceux aujourd’hui mes frères aube certitude du matin à venir pour enrayer la mort je hurle à la nuit aux luttes décisives rassemblant la meute de tous les combattants je possède la force des convictions profondes et raisonnables je connais les sentiers raccourcis qui mènent du Bassin-Bleu de mes rêves à l’eau de pluie l’eau des puits et des fontaines l’eau pour boire l’eau goutte de rosée à l’eau claire de notre délivrance oui je connais les résonances ultimes et sourdes de mon peuple je connais les cachettes de ses espoirs les marelles de son enfance et les lagos agiles aux quatre coins de ses points cardinaux oui je sais les palmiers et les lianes je sais le pois-congo et le diriz-diondion les marigots et les ravines les cirouelles et le choux- palmiste je connais les rigoles et les lampes à pétrole je connais l’odeur chaudes des cassaves le piment-doux du rire l’akassan du matin je connais d’étranges filles dont les mots allumés vont porter nos demains oui je sais tous les miens médecins peintres et chômeurs qui ont bâti au coeur de tous les bayahondes notre espoir commun je hurle à l’émeute de nos âmes je hurle à la découverte du bonheur je hurle à mort l’injustice je hurle pour le pain la liberté les généreux possibles je hurle enfin et toujours à la lutte pour récolter l’amour.
Port-au-Prince- Décembre 1986
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Jai mal au monde
J'ai mal au monde qui meurt j'ai soif et bois mes pleurs humiliés d'égorgés disparates j'ai mal aux tripes de ma planète j'ai l'oubli de mon chapelet d'enfant j'ai la mémoire de celui des bombes à vomir mon humanité ravagée je hoquète d'espérance vaine au fracas des armes mains raidies de ruines luisantes de larmes gluantes de sang fleurs fendues d'acier sur mes volcans éteints bourgeonnant de râles j'ai mal à mon baiser j'ai mal à mes frères africains sud-américains à ceux de mon espèce aux humbles violés à ceux d'Irak de Malaisie de Papouasie à ceux de Singapour du Nicaragua de Grenade de Panama de Cuba d'Haïti de St-Domingue de Guadeloupe et de Martinique j'ai mal au métèque que je suis j'ai mal aux battus volés séquestrés écrasés pulvérisés brûlés j'ai mal au monde qui s'abîme brûle se consume j'ai mal au tocsin des injustices milliardaires à la faune au pélican-pétrole j'ai mal à ma gorge nouée de vipères yankees j'ai mal à ma tendresse au bonheur à la neige qui tombe sur les tombes et sur Paris en ce six février 1991 j'ai mal à la poésie sacrifiée de l'espèce humaine...
J'ai mal aux étoiles au labeur à la culture j'ai mal à la littérature désuette j'ai mal aux regards d'amour j'ai mal à mes habitudes de vivre j'ai mal à l'espoir...
J'ai mal au monde que j'habite...
Paris, 6 Février 1991
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Je me souviens…
Je me souviens des purges administrées tous les samedis matin pour guérir des vers, du paludisme et du "sang-gâté". Je me rappelle la tête coupée, fichée sur une pique, qu'une foule en colère a baladé des heures durant, dans les rues de Jacmel. Je me souviens l'avoir vue passer, montant et descendant dans le roulis de la manifestation, au ras de mon balcon. Je me souviens que le ciel était bleu-féroce et que le soleil cernait de lumière le macabre visage. Je me souviens que j'avais 7 ans.
Je me souviens de Diogène, le conteur, matraqué et jeté ensanglanté dans un camion par des types de la Garde, parce qu'il allait pieds nus et en guenilles. Je me souviens d'avoir entendu dire qu'il fallait nettoyer la ville de tous les mendiants à cause du bateau de touristes yankee qui devait faire escale dans le port ce jour-là. Je me souviens que Diogène n'a jamais plus reparu. Je me souviens qu'un voisin a dit qu'il était mort.
Je me souviens du cyclone de 1936. Du tremblement de terre et du raz-de-marée qui l'ont précédé. Je me souviens des quinze mille victimes et de ceux que la peur a rendu fous. Je me souviens des cadavres brûlés en tas pour éviter l'épidémie. Je me rappelle cette odeur de cochon grillé et les volutes de fumée noire dans le ciel redevenu bleu et serein.
Je me souviens des matelas contre les murs en cas de "balles perdues".
Je me souviens d'un doigt sectionné pour une banane volée. Je me souviens de la main de Théragène, coupée, pour tout un régime dérobé.
Je me souviens des lampes à pétrole, des bougies de baleine et des "torches-bois-de-pin" éclairant mes cahiers d'écolier.
Je me souviens de la route Jacmel-Port-au-Prince aux cent "passes" de torrents. Je me souviens de Moreau, la rivière aux écailles d'argent. Je me souviens de Cour-la-Boue et du Morne-à-Tuf.
Je me souviens des tambours dans la nuit et des "bandes" du mardi-gras.
Je me souviens de nos pigeons mangés par les voisins et... des colères de mon père! Je me souviens de lui lorsqu'il partait à la recherche des trésors enfouis durant la guerre de l'Indépendance en 1804, et qu'il n'a jamais découverts.
Je me souviens de ma dysenterie amibienne et de l'eau bouillie qu'il m'a fallu boire durant un an.
Je me souviens de P'tit-Louis qu'il a fallu que je cesse de fréquenter parce qu'il avait la teigne.
Je me souviens de Maman-Dédé m'interdisant de parler créole pour ne pas gâter mon français.
Je me souviens que les petits "mulâtres" jouaient de préférence avec les petits "mulâtres", les petits "nègres" avec les petits "nègres", que les bonnes étaient toujours noires et les prêtres toujours blancs.
Je me souviens qu'il ne fallait jamais oublier de ne pas parler aux gens des bidonvilles et qu'il fallait surtout ne pas oublier qu'il était interdit de donner la main aux "enfants de la rue". Je me souviens qu'il ne fallait jamais dire de gros mots sous peine d'attraper le "gros-ventre comme certains gosses du voisinage. Je me souviens du "mal-mouton" que ma mère appelait oreillons. C'était une maladie terrible qui engendrait le "maklouklou" gonflant démesurément les testicules, comme c'était le cas pour Maître Bordes, doyen du tribunal.
Je me souviens du massacre des quinze mille travailleurs haïtiens en République Dominicaine. Je me souviens que cette tuerie eut lieu en une seule nuit.
Je me souviens des vingt-et-un coups de canons tirés du Fort-National pour saluer les bateaux de l'U.S Navy à chaque fois que l'un d'eux venait mouiller dans la rade.
Je me souviens des "marines" nord-américains dé-ambulant saouls dans nos rues, la bouteille de gin dépassant de leur poches arrières. Je me souviens de leur allure chaloupée et de leur difficulté à avancer sous le soleil. Je me souviens de leur brutalité, de leur grossièreté, de leur peau violette, de leurs yeux injectés de sang, de leurs visages inintelligents, de leurs uniformes peu seyants, de leurs rictus repoussants, de leurs de leurs de leurs de leurs....
Je me souviens qu'il fallait oublier les amis emprisonnés parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec le gouvernement. Je me souviens qu'il fallait ne plus se souvenir des "disparus". Qu'il fallait rayer de son vocabulaire : "politique", "à bas Borno", "indépendance " et "communisme".
Je me souviens de ma terre-natale dont on m'a privé quarante ans et que j'ai retrouvé à soixante.
Je me souviens qu'il m'a fallu dix-sept jours pour traverser l'Atlantique en 1946 à bord du San-Matéo et dix heures pour revoir le pays en 1986, à bord d'un Boeing 747.
Je me souviens que la terre est ronde. Que mon coeur bat. Que j'ai connu Georges Perec au Moulin d'Andée, Samy Frey en cassette, et Isabelle dans le métro.
Je me souviens des mots : amour, espoir, liberté, fleur et
rêve.
Je me souviens qu'un jour viendra...
Paris 8 Novembre 1990
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Écoutez…écoutez…
Peuple bâillonné aux tréfonds de l'Histoire muselé enfiévré étouffé • vienne le jour qui prendra date à visage découvert • mordront la poussière les grands totalitaires harponnés en eaux troubles par des foules mains nues • sursaut d'envie majeure de liberté • viendront le temps des cerises des lilas et la fin des murailles • la nuit a dérivée aux cils de mes paupières • naissante l'aube nouvelle de certitudes enfouies • non aux geôliers oui aux lèvres balbutiantes • parle mon coeur parle ma terre mutilée parle mon peuple humilié ne soit plus solitaire • avec ceux de Harlem de Miami du métro de Paris fait chorus... silence!... écoutez mon pays!... écoutez mon exil... écoutez... écoutez haleter ma planète...
Paris 24 novembre 1993
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à Isabelle mon rêve
à Ludmilla et Morgane mes filles
L'Ailleurs éleva la voix
et dit
que la lumière soit
et la lumière fut
et furent le ciel et les étoiles
la Terre les mers et les poissons
les arbres l'eau douce des montagnes
la pluie et le temps
le jour et les ténèbres
les fleurs et les pleurs
les femmes l'amour
les hommes et les couleurs
les semaines et les siècles
toutes ces choses de la vie
paroles échanges regards musiques
senteurs de printemps
froidures hivernales
saisons étés chauds tropicales
automnes aux feuilles d'or ramassées à la pelle
petits grains d'astres en cavale
et Toi
source de mes rêves
sève douce à mon écorce
Tout me paraît bizarre cette aurore
même ce cri souverain d'un enfant
même ces chants d'oiseaux
même ces étrangères qui peuplent en foule le monde de leurs démarches lascives et belles
de leurs reins ondulants
de leurs épaules souples
de leurs poitrines multiples et rassurantes
de leurs ventres de mères
de leurs peaux veloutées
de leurs enivrantes haleines
de leurs vertigineuses présences
tout me paraît à découvrir
à connaître
à goûter
à savourer
à voir
à décoder
à toucher
à sentir
à créer
à récolter
tout me paraît utile
difficile
mobile
subtil
quelquefois futile
la voix s'éleva du silence
et vous fûtes aussi
dans le vent et l'espace
sur les sentes du bonheur
dans les rues hasardeuses d'un Paris qui s'éveille
Paris 26 Avril 1991
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Je dis merde à l'espace !...
Février 1946 (Expulsé d'Haïti)
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L'Exil...
Ce matin là
il n'y avait
que le vide des voix-fantômes
par les rues de la ville
qu'on fusillait en moi
Il n'y avait
que l'écho des bruits
que l'ombre des uniformes
que la veille et les avant-veilles
de ce matin de Février
que le passé
que des lambeaux de souvenirs
Mon coeur meurtri
déchirait en cadence
des sentiments brûlés
Le monstre prit son essor
et du hublot
oeil étonné encore
ouvert sur Port-au-Prince
j'embrassais la rade, la Gonave,
le Morne l'Hôpital
L'horizon bascula
quand l'avion prit son cap...
et la Saline, Bel-Air,
se mirent en page
une dernière fois
Port-au-Prince
mosaïque de la misère
saignant à mort
de tous ses bidonvilles
tuiles-fer-blanc-rouillés
à l'infini...
Le ciel était immense
Je suis venu au monde
J'avais pourtant vingt ans...
Février 1946
—————————————
Pourquoi ?
Pourquoi ?
Puisque
la
bulle
lente
du
monde
roucoule
dans
ma
gorge ?...
—————————————————
Paris, quelque part - 4 août 1946
Le ciel blafard et l'ombre muette
jettent leur valise au regard du monde
La faim gèle sa cadence
au pluvieux nuage que mord l'étain
Le vent céleste et la molle cerise
appellent la tendresse et le rire bruyant
Je vois mourir l'ombre des grands toits
et se tordre le gris des ardoises tristes
Je vois miauler
la couche d'asphalte
J'entends grincer pleurer la radio
et la joie
Et je dis au courant qui gratte
l'espace
voici venir l'ombre vaste
des cyclones hargneux
Je boucle ma valise pour un port
plus doux
et je nage dans l'équilibre de la sueur
moite...
Paris 1946
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Faim
un rêve
d'étrange envie
le rêve de la faim
qui dort
et glisse sur l'intestin
de l'appétit
La faim
mot superbe
et doux
d'éloquence
et de fatigue
Faim
j'ai faim
et je sommeille
au grand jour
de la faim.
Paris 1946
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Poème en si-bémol
Le noir de l'oeil est sorti
sous la dent blanche qui craque
à mesure
La lumière et l'eau s'affolent
pour un morceau de maïs
et de grain dur
Je lèche le cul-de-jatte
de la porcelaine brisée
J'écrème ma tendresse
et je plie ma pensée...
Paris 1946.
——————————————
Bulle
Rêve d'ivresse
rêve de tendresse
je pleure
ah! mon dédain
délire
l'imperméable
se déchire
et je tends
doucement
la main
vers la porte
du vide
Paris 1946
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Tiens bon
La nuit s'en est venue
avec des pas d'enfants
Et le mystère de ses yeux noirs
m'a saisi tout entier
Qu'est-ce ce bruit lointain
qui monte de ma race
aux larges trajectoires
de lames ensanglantées?
Qu'est-ce cette odeur de poudre
et de rhum mêlé
sur les vagues incertaines
d'un océan houleux?
Une île à demi nue
aux plages d'or fin
signe sa découverte
à tous les flibustiers
La nuit est impalpable
et sa chevelure d'encre
se défait
et devient le destin
Trente-sept ans vont sonner
à l'horloge patience
Trente-sept coups de canon
sur ma frégate espoir
Mettons nos montres à l'heure,
à l'heure de l'exil
Je demande une minute de silence
pour le moment oubli
Va, petit gars,
moussaillon atlantique
grimpe sur la hune
et vois la Caraïbe
Va, petit gars,
dans la nuit qui t'abrite
Tiens bon, tiens bon
jusqu'au matin.
Toulouse - Mai 1983
——————————————
J'ai reconnu tes doigts...
Un jour tendre
est né
sur la mousse
auprès de la source de mes quatre ans
un anolis me guettait
sur une feuille de bananier
et les têtards dansaient
J'ai vu le ciel bouger
dans le reflet de l'onde
la brise s'enlisait
dans les branches
il faisait chaud
Les cocotiers grimpaient
le long de la lumière
les palmes grattaient l'infini
Les mornes découpaient
l'horizon de leurs lames
diaphanes
et la mer caressait
les lambis
Tu es venue
dans cette pure fontaine
sans que je puisse cerner
ce qu'était ta silhouette
Je sais que tu étais là
j'ai reconnu ta voix
j'ai reconnu tes doigts
et tes mains
douces
comme des papailles
Je sais que tu es venue
ce matin-là
dans tout ce que plus tard
j'ai pu nommer ma vie.
Paris - Août 1983.
——————————————
Paris, un soir...
Le murmure des voix
a fait gonfler les voiles
de mon espérance
Beyrouth, le Liban,
ont atterri sur mon émoi
C'était un soir
près de la Contrescarpe,
à Paris...
J'ai senti au bord de mes larmes le précieux mélange
de mes espoirs fous
J'ai su une seconde
tout l'amour du monde
Le Nord-Sud
a fait sa pointe de vitesse sur l'alleluia de mon coeur
Toutes les cordes de la Liberté
se sont mises au diapason
des peuples...
Nous étions là
en plein centre du Nord
étalant ses crédits au
Tiers-Monde
dans la nuit riche de la ville...
Un instant
j'ai bu
à la Caraïbe...
Paris - Août 1983.
—————————————
Loin de toi...
Je languis
loin de toi
sur la grève brune
J'aperçois
l'horizon
dans la brume
Je perçois
le son de ta voix
et je hume
ton parfum
Le chant sourd
des foules
monte des continents
et me saoule
J'entends
la houle
qui coule
en gémissant
et la soie ténébreuse
de l'ennui
s'enroule
autour
de moi
La fenêtre est ouverte
La ronde du monde
m'entraîne
sur les tombes
Minuit passe
comme un train
au loin
Je languis
loin de toi...
Paris -Août 1983.
—————————————————
En reportage dans un foyer
de la SONACOTRA à Massy.
(à Martine)
Dix huit heures
et je pense à toi...
j'ai copié le visage
d'un immigré
marocain
il fait chaud
je transpire
et je t'aime
je bois de la bière
et j'écoute
le marocain
il raconte sa vie
de travailleurs
l'exploitation
son salaire
ses amours
son pays
son loyer
ses lessives
ses grèves
Je t'aime
je t'aime
auprès
de ces hommes
près des bleus
de travail
de leur prix
des chaussures
de sécurité
des arrêts de travail
des réunions
de délégués du personnel
des libertés syndicales
Je t'aime
en écoutant
les horaires
de travail
les mesquineries
des chefs
de chantiers
les mises
à pied
de la dignité
Je t'aime
en faisant le point
en arrêtant un geste
en capturant un regard
Je t'aime...
12 juillet 1977
——————————————
Jai mal
des heures qui passent
sans ta voix
J'ai mal
de ce qui t'entoure
et te broie
J'ai mal
de leur bûchers
de leur justice
de ce qu'ils t'arrachent
contre nous
contre ton amour
contre le mien
J'ai mal
sans le bout
de tes doigts...
Juillet 1977
————————————
Le monde en fleur...
J'ai dit trois fleurs
ce matin
en ouvrant ton nom
Je suis entré
je me suis assis
puis je t'ai écrit
Tu es arrivée
tu as lu
puis tu as souri
les fleurs-lettres
se sont mises à danser
elles ont fait la ronde
en chantant
elles se sont posées
sur ton coeur
elles étaient en bouquet
comme tous les bouquets
du monde
quand le monde est en fleur
et les coeurs en printemps...
27 Septembre 1979 Gennevilliers.
——————————————
Allo?... Martine?...
J'ai sonné
à toutes les portes de la nuit
pour te parler
J'ai refait dix fois le numéro
de ton coeur
mais tu n'étais pas là
mon amour...
J'ai écrit ton nom
dans ma tête
J'ai caché ta voix
dans ma mémoire
et pour dormir
j'ai mis ma main
dans la tienne...
10 juillet 1977 - 1 H 30 de la nuit.
———————————————
Miel...
J'ai butiné
ta voix
au téléphone
comme une abeille
J'ai porté
le pollen
de tes mots
jusqu'à la ruche
de nos amours...
11 juillet 1977
————————————
Ma fleur...
Elle a poussé
le long
de ma mémoire
cette petite plante
Elle s'est accrochée
au mur
de mes années
Elle a donné
la fleur
que tu es
Le long de ma mémoire
elle s'est ouverte
pétale par pétale...
16 juillet 1977
—————————————
J'ai prié...
Pour toi
j'ai levé les mains vers le ciel
et j'ai prié
Pour Toi
j'ai cueilli les étoiles une à une
et j'ai crié
j'ai crié
en gerbes d'étincelles
en coulées de béton
en fer
en bois
en acier
j'ai construit
l'Himalaya de mes rêves
j'ai lancé un pont
par-dessus les jours et les nuits
Pour Toi j'ai pleuré
en déchirant
les siècles
les censures
et les lois
Pour Toi
rien que pour Toi
j'ai levé les mains vers le ciel
et j'ai prié.
Paris 22 Janvier 1978
——————————————
J'ai besoin de toi...
J'ai besoin de toi
de ta voix
de tes rêves
J'ai besoin de tous
les pas de notre danse
J'ai besoin de ta musique
de ton parler
de ton rire
J'ai besoin de toutes les
lettres
de ton nom
J'ai besoin de Toi...
10 juillet 1977
—————————————
Seul…
Ce matin est venu
avec des bruits d'oiseaux
le murmure de la Seine
sous le Moulin d'Andée
et la lumière d'un tour du monde
Ce matin est venu
presque comme un papillon
hésitant
pour me parler de toi
de ton absence
de mon inquiétude
Ce matin se lève en s'étirant
ce matin lourd de sommeil
ce matin seul
ce matin gris...
10 juillet 1977
—————————————
Au fil du temps...
Pour Toi
au jour le jour
au fur et à mesure
au fil du Temps
comme va la vie
frêle comme tes épaules
solide
comme
ton coeur
belle
comme ce que tu dis...
9 juillet1977
———————————————
En effeuillant la marguerite...
Un peu
beaucoup
comme une marguerite
Un peu
toujours
comme l'oiseau qui vole
Un peu
passionnément
comme une guitare qui pleure
10 jullet1977
—————————————
1982...
Un regard
vide
sur un monde
plein de problèmes
Un regard
plein
sur un monde
vide de bonheur
Une phrase
vide de sens
une foule pleine
d'espérance
Et le petit enfant
que j'étais
a regardé le ciel
vide de nuage
et plein de lumière
Mais il n'a pas compris
il n'a jamais compris
pourquoi la pluie
était cendre
quelquefois
pourquoi la vie
sentait de temps en temps
le souffre
pourquoi les abeilles étaient par moment
d'affreux hélicoptères
pourquoi le sang rouge
devenait noir en séchant...
Paris Sept.82
——————————————
Camargue 1981...
J'ai vu
tes seins nus-ligne-d'horizon
J'ai pointé mon émoi vers l'infini
de tes hanches-nacelles
arc-en-ciel-couleur-de-ta-voix-désir
J'ai tiré
le cabestan-délire de mon trouble
J'ai planté mon ancre
entre tes cuisses tièdes
Sur ta peau-plage
et dans le vent de tes paupières
je me suis étendu
sur ton sable
Je me suis baigné
dans ton rire-poisson
et je m'y suis
noyé...
Camargue - 1981
—————————————
Personne ne sait plus...
Paris était là
entre tes jambes
entre tes pas
De petites fleurs
poussaient dans ma tête
et sur les trottoirs
La musique de tes hanches
s'accordait en cadence
aux rues de l'Ile-St-Louis
La Seine doublait,
en tremblant de lumière,
Notre-Dame,
à l'envers,
et ton regard coulait
dans le ciel descendu...
Il a fallu cent ans
pour que je te retrouve
Des milliers d'hibiscus
fleurissaient ce jour-là
au fond de ma mémoire
c'était un Vendredi
Tu lisais "Le Monde"
ou tu faisais semblant
ton manteau blanc
t'écrivait sur le mur
Le soleil en effet
dessinait ta silhouette
Pourtant tout était gris
nous étions à Paris
Des années ont passées
des siècles et des siècles
et personne ne sait plus
quel prénom tu avais
Tu as fondu un soir
Il pleuvait sur la ville
et j'ai marché longtemps
en cherchant le Printemps
Je n'ai trouvé qu'Hiver
et des morceaux d'Automne
Je revois quelquefois
entre deux pavés bleus
le petit bout de ciel
que je t'avais cueilli...
Paris - Août 1982.
————————————————
Feuille morte...
Cuers dort
et le ciel pavoisé
des signes du zodiaque
se met au diapason de l'infini
La lune
le village
les toits confus
le bar-tabac "Ariel"
et l'ombre de l'église...
Un bruit de moteur
au loin
strie une fraction de seconde
le silence
et la Nationale
ruban d'argent
s'efface dans l'oubli...
Un chien aboie
la gueule en feutre
un bout de vent
court sur les vignes
et vient lécher en murmurant
les tuiles
Un volet claque
minuit sonne en douze notes rouillées
le temps qui part
Je suis là
sans racines
feuille morte
sous un porche gravé
de quatre chiffres
pour marquer la mémoire
Cuers- Août 82
—————————————
Un peu pour toi...
Un peu pour elles...
Ton prénom
comme un affluent-souvenir
se jette enfin dans ma mémoire
Tourne les pales de mon moulin
tourne le blé au vent
tourne ma tête
tourne le coin de la rue
tourne le lait de tes dents vives
lait caillé de tes seins nus
tourne la Terre
tourne la ronde et sa chanson...
au gré de ta voix
au gré de mon désir
au gré de tes doigts...
Glissent tes épaules sous ma main nue
enflent tes hanches sous mon émoi...
Et voici en plein midi
l'Aube...
Comment dire l'Aube ?...
j'avais le mot, je l'ai perdu
mais il me reste ta silhouette
et tous mes mercredis
Quand viendra Jeudi
je serai Dimanche
et le son de cloche
sur Cuers endormie...
Cuers - 28 juillet 1982.
———————————————
Cuers,1982...
Les menottes de velours
que tu voulais d'acier
n'ont pu rendre captive
que ta propre fontaine
mais l'eau que tu répands
et que je bois
a gardé sa fraîcheur
Les menottes de soie
que tu voulais d'acier
n'ont pu que draper
tes épaules-lumières
Alors, je t'ai pris les poignets
mon amour
et je t'ai dévêtue...
Cuers - 28 juillet 1982
———————————————
Cuers, 28 Juillet 1982...
Pourquoi ce regard
étonné
venu du fond
de je ne sais
quelle ancienne Egypte
Regard de sphinx
chargé de pyramides et d'hiéroglyphes ?
Pourquoi cet oeil
anxieux
interrogateur ?
Pourquoi cet oeil unique de cyclope ?
Pourquoi cet oeil comme celui de la tombe
qui regardait Caïn ?
Pourquoi cet oeil de cyclone
au centre de ton émoi ?
Pourquoi cet oeil-laboratoire ?
Je suis là
devant toi
première lettre de ton alphabet
premier point sur ton i
première goutte de rosée
au petit jour de ta confiance...
Cuers - 28 juillet 1982
——————————————
Le retraité...
Il est assis
avec sa retraite
au bout des jambes
La petite place l'enserre
de ses bras de platanes
Son regard
passe par la fontaine
pour courir la rue qui bouge
aux couleurs du Midi
Il est assis et rêve
sans doute aux compagnons
à l'établi
Il porte un peu d'usine
aux creux de ses paupières
Ses bras sont fatigués
ses mains comme des outils rangés
attendent auprès de lui
Il est assis à l'ombre
à l'ombre de sa vie...
CUERS (Place François Bernard)- août1982
———————————————
Les vieux...
Ils s'étaient posés
comme des oiseaux
sur les bancs de l'hospice
Echassiers migrateurs
lassés d'un long voyage
ils regardaient sans voir
l'étranger que j'étais
Leurs mains calleuses
leurs doigts noueux et fatigués
gardaient encore
des formes de manches
et le bruit des outils
Venus d'où la sueur coule
Venus des champs
Venus des villes
Ouvriers des métiers dénigrés
Travailleurs des emplois méprisés
Ils s'étaient posés
comme des oiseaux épuisés
les retraités de Cuers
les oubliés du Travail
en silence
sur les bancs de l'hospice...
Cuers - Août 1982.
————————————
Cuers, Août 1982
Je jongle avec les mots
avec les virgules
Je jongle avec les consonnes
Je lance les voyelles
Je jongle avec mon coeur
Je jongle avec toutes les lettres
de ton alphabet
Je jongle avec les syllabes
de ton nom
Et dans le cirque
plein de lumière
Je jongle avec ma vie
avec les années
avec le jour et le bonheur
Je jongle je jongle
et je ris...
Cuers 1982
————————————
Juin 1980...
Ma main pour
te toucher
te saisir
te sentir
pour t'aimer
te caresser
t'émouvoir
pour t'étreindre
te serrer
te peindre
pour t'attacher
t'enlacer
t'ensorceler
pour te battre
te casser
t'énerver
ma main pour t'applaudir
pour te montrer
pour t'adorer
ma main dans la tienne
simplement pour vivre
Juin 1980.
———————————
Vous...
de double éternité
de double intensité...
Paris - 15 Août 1983.
———————————
à Isabelle A...
Toute une vie
pour te trouver
quelques secondes
pour te vivre
Miracle d'un sourire
pour longer les côtes
de ton continent
La voix hurle du vent
sur ton regard
Un soleil sur chacun
de tes minuits
Le grand parfum de tes épaules
muscle les paumes de mes mains
Doigts frêles de ton image
au reflet miroir des matins
Léger comme l'air
ailes de papillon
Frémissant de rosée
dans l'écume des bulles
s'irise ton rire
et ta joie feu-follet de mes espaces
feu tendre à ma brûlure
Je te sonne en carillon
Je te capte
Je te bois calice de tendresse
corolle de fleur
... Ivre de toi...
Août 1983
———————————
Martine...
Je l'ai reconnue
à ses mains un peu gercées
à son toucher un peu sablé
à sa voix un peu passée
Je l'ai reconnue
à son odeur un peu sucrée
à sa couleur un peu soufrée
à son allure un peu huilée
Je l'ai reconnue
à son visage un peu grave
à ses joies un peu secrètes
à son silence un peu pesant
Je l'ai reconnue
à son calme un peu gênant
à son regard un peu brûlant
à sa mémoire de cathédrale
Je l'ai reconnue
à notre amour recommencé...
Paris - Août 1983.
—————————————
POUR T’ECOUTER ENCORE
Elle était...
Elle était si belle
si frêle
si douce
si jolie
Elle était mousse
feuille d'automne
bourgeons de printemps
Elle était cannelle
poivre
sel
et sucre
Elle était courbe
ligne
grâce
Ses yeux était lacs
Sa taille était musique
Elle était vol d'hirondelle
ailes de papillon
goutte de rosée
Elle a passée dans ma rue
et elle a disparu...
Elle a repassé dans dans ma tête...
depuis je l'ai revue...
Paris- Juin 1983
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L'automne a répandu
ses feuilles d'or
Et la pluie des mots
tombe sur ta solitude
La rue est vide de tendresse
et tu t'en vas le long des murs
Tes pas à petites caresses
glissent sur le trottoir
et ton regard à demi-nu
frisonne au vent
de l'oubli
Tu vas dans ce jour, sans espoir...
Paris - 15 Août 1983
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J'ai lu
dans tes yeux
dans ta voix
dans la beauté de tes doigts
ce qui ne fait que murmurer
au fond de toi
J'ai lu
ton inquiétude
et ta confiance mêlée
J'ai lu
ce que tu ne dis pas
ce que tu ne te dis pas
ce que je ne savais pas
ce que tu me caches
ce que tu te caches
ce que tu n'a pas voulu
lire avec moi
J'ai lu entre les lignes
de notre émoi
Je voulais déchiffrer
le code
de tes secrets désirs
Je voulais résoudre
l'équation
de toutes tes déchirures
Je voulais percer
l'énigme de ta solitude
Mais tu as soufflé sur la lampe
et je me suis retrouvé
dans le noir...
Paris- Août 1983
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Ouvre un peu la fenêtre...
J'ai toujours su
que la terre était ronde
et courbe de ta peau
J'ai toujours su
ton blé humide
et ton odeur de foin
Mais je ne savais pas
la galaxie de ton ventre
et ta voix d'écorce rose
Je sais désormais
que tout jaillira
comme un coquillage
de ton océan
Nous serons au mois d'août
dans le plus bel été du monde
J'ai toujours su te joindre
dans les lits de torrents
Il est des temps de rêve
des temps de pluie
et de saison
Il est des temps passés
des temps présents
des temps futurs
Il est un temps nouveau
celui de fête
et de baisers
La lumière est honnête
ouvre un peu la fenêtre...
1984
-----------------------------------------------
Un peu d'histoire
sans parole
sans parler de
Napoléon
de Jeanne d'Arc
d'Al-Capone
ou de Poitiers
Un peu d'histoire
gaie
de dates heureuses
comme celle du jour
où je t'ai rencontrée
1984
----------------------------------------------------
Il faisait beau
le gravier crissait
sous tes pas
Le bruit d'un avion
comme un tremblement
de lèvres
a passé sur nos têtes
La vie carillonnait
à toute volée
Tu es entrée
dans ma maison
1984
------------------------------------------------------
Pour vous
j'ai bouclé
mon tour du monde
Pour vous
ce soir
la lune est pleine
J'ai bu
à la coupe
de la nuit
Pour vous
j'ai touché
l'espace
les étoiles
notre rêve
et nos destins.
1984
----------------------------------------------
Pas un bruit
dans la maison
La nuit viendra
attends
Le dernier soleil
posera comme chaque fois
sur la table
les feuilles-ombres
de l'arbre du jardin
Au loin
passe l'étranger
en voiture
L'heure viendra
de se glisser
sur les villes
L'heure est venue
de ne plus mesurer
le temps...
1984
-----------------------------------------------
Je t'ai inventé
ce matin là
au soleil naissant
Il faisait lune
et doux
Les tambours dormaient
et Port-au-Prince frissonnait
Un requin
glissait
dans la rade
La Gonave
s'allongeait
sur les flots
Je t'avais fait céleste
et brillante d'étoiles
Je t'avais faite palme
et zéphir à la fois
Je t'ai inventé
quoique tu puisses faire
et dire
quoique tu puisse rire
te fâcher
et pleurer
Je t'ai inventé
comme une histoire de fée
pour te retrouver...
1985
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ISABELLE DE PARIS
Le voilà, le jour, le lieu, où je coupe la gorge au temps.
Il est là, ce petit bout d'aurore, avec sa sève d'heures qui montent enfiévrées de regards.
Les mots ne passent plus par dessus les vallées. Le vent tiède s'écorche à son nom. Sans bruit sans but j'erre.
Il est pourtant vivant, ce silence frissonnant d'oubli. Chaque seconde-perle-goutte-de-passé-suinte-le-vide. Il faut encore attendre l'instant. L'instant, où l'air sera des nôtres.
La cage est grande ouverte. L'oiseau s'est envolé, mais le tigre n'a pas compris qu'il pouvait lui aussi partir.
Il a fallu que l'orage arrive, sur la pointe des pieds.
Isabelle a paru sur un quai de métro. Elle a mis dans le mille, et ses hanches ont annulé le vide.
Il a suivi la piste en tremblant de lumière.
C'était elle, ce petit bout de jour, goutte-de-rosée échappée au passé.
Il faisait frais sur l'archipel. Les vagues, en rouleaux, ont happé sa mémoire. Qu'il était fort le soleil déchirant l'horizon.
Il avait faim. Faim de ses reins, de ses épaules, de son miel.
Elle était au pluriel, et il s'y est noyé.
*
* *
La peau pierre séculaire, le sphinx est allé voir ailleurs. Et je n'y étais pas. Et c'est la vérité !
La Seine a mis Paris en scène. Cela donnait un parfait contre-jour, du plus heureux effet. C'était fait, et bienfait pour ceux qui savaient faire. Plutôt, qui savaient voir !
Pourtant Eiffel n'a pas vu ou fait mieux.
Mais être, à cette heure, dans les rues de la ville, quel bien-être !
Etre ou ne pas être, aucune importance. N'en déplaise à Shakespeare. D'ailleurs, ici, il n'a jamais vraiment eu droit à la parole.
Isabelle, belle de ma nuit, au centième de seconde, j'écris ta liberté.
Je revendique avec toi, et pour tous ceux qui s'aiment, le droit à ne plus compter, à ne plus calculer, à ne plus mettre en chaîne, le Regard.
J'ai soif de tes yeux clairs, je bois à tes paupières. C'est vrai qu'il ne m'a pas trouvé le Sphinx. Sinon comment en serai-je là, à tes pieds, mon Omphale ?
J'exige, pour survivre, la chute des Bastilles. Qu'on vilipende les lois de l'image parfaite. Que veulent dire mise au point ou cadrage ? D'ailleurs je m'en fou . Je laisse libre cours à ton parfum, à ton sourire, et à ton nom.
Je veux qu'aux coins des rues se ruent tous ceux qui passent, et qu'ils chantent à tue tête pour tuer le temps. Même le temps des lilas ou celui des cerises ! Que dire du temps-de-pose? La Photographie n'a jamais été - au bout du compte - qu'un passe-temps pour communiquer, connaître, faire connaître, savoir, explorer l'au-delà du monde en péril, éparpiller l'imaginaire et recréer l'univers...
Je veux désormais en faire le moyen le plus sûr pour épeler ton nom I.S.A.-B.E.L.L.E de P.A.R.I.S...
*
* *
Après tout, dans ce foutu métier, passe-montagne, passe-tout-grain, passe-partout, passe-passe ou passe-temps, n'ont jamais été aussi nécessaire qu'un passe-vue !
Pourquoi m'entêterais-je à vouloir dire aux autres que tu descends du ciel et non pas d'une lumière banalement focalisée ? Tu sais autant que moi qu'il n'y a rien de moins objectif qu'un objectif photographique ? Alors pourquoi ? Puisque la bulle lente du monde roucoule dans ma gorge ?
Je bâtis à mains nues le poème du siècle.
Je fredonne pour toi, les berceuses de mon enfance.
Il est dans ma tendresse la complice espérance de te garder un peu, pour t'aimer comme on crie, au jour de la naissance.
Je suis venu à toi comme on va à la source. Comme Picasso au communisme. Comme Jeannetton aux joncs.
Je crois, tout simplement, au bonheur, à cette ville et à toi.
Je crois en toi, comme on croit au silence, à la grandeur et à l'été.
Je crois à ta démarche printanière, à tes mots, à ton intelligence, aux nébules de tes seins, à l'ivresse de ta présence... Je crois en toi, Isabelle-de-minuit...
*
* *
La lune est régicide ce soir, place de la Concorde. Bien mieux que ces Français récents qui n'auraient pas voulu - curieux sondage ! - couper la tête à Louis.
Le Boulevard Saint-Germain hésite avant d'aller vers Saint-Michel.
Isabelle, sans-culotte, glisse le long d'un trottoir.
Mon 24X36 n'en croit pas son miroir et je n'en crois pas mes yeux. J'ai devant moi la houle-faîte-femme, ou si vous préférez, j'ai devant moi la certitude qu'elle est vraiment ce qu'Aragon disait de l'avenir de l'Homme.
Il n'y a plus de Roi. Voudrais-je d'une Reine ?
Je pense à la lune-populaire.
J'ai des barricades plein la tête. Je vote pour toi, Isabelle de rêve. Je vole vers toi. Mon zoom coulisse en douceur et je cueille ta fleur, ton lys, ton toi, ton tout.
Vois-tu, j'ai froid, ce soir. Paris est nimbé de ta clarté. Je frissonne d'émoi pour toi et moi, à la Géraldy.
J'ai capté ta silhouette. C'est la photo numéro un. La photo scoop de mon âme.
J'ai repris le chemin, le dur chemin de voir et d'exister. Le dur chemin de dire et de montrer. Le dur chemin de décider, d'enregistrer, de développer et de tirer.
J'ai repris la route du faire-parler, du faire-sentir et même du faire-pleurer.
Pour toi, rien que pour toi,
j'irai
Paris - juin 1989
———————————————————
Le Rebel...
Un visage-temps-pluie-tempête-saison
Un visage-doux-dur-émouvant
inquiétant-volcanique
Un visage marqué-au-fer
à la lave-à la bave
Un visage-océan-lichen
Un visage-ombre-et-lumière
vent-et-écume
Un visage-canne-à-sucre
raz-de-marée
écorce-et-racine
Un visage-patate-douce
ignam
malanga
choux-palmiste
Un visage-cirouelle
Un visage-sapotille
Un visage-à corps-défendant
Un visage-à-bouche-que-veux-tu
Un visage-ouragan-hurlements-cyclône
Un visage-au-galop
Un visage-à-rhum-à-clairain-à-tafia
Un visage-calebasse
Un visage-palme
étoile
firmament
Un visage-image
Un visage-cuivre-plomb-et-or
Un visage-reflet
Un visage-forêt-et-marécage
Un visage-désert
Un visage-village
Un visage-continent
Un visage-Afrique-Atlantique-Amérique
Un visage-colère-et-calme
feu-et-eau
pierre-et-bois
terre-et-ciel
Un visage-symphonique de désespérance
et de certitude
Un visage-douleur
Un visage-espoir
Un visage-tam-tam
Un visage-de-nègre
de siècles
de grandeur
de dignité
Un visage-foudre-tonnerre-danse-et-rythme
Un visage
à dimension galactique
à envergure de l'espèce humaine
Un visage à habiter notre conscience
à hanter notre devenir
à labourer notre souvenir`
Un visage à en crever de tendresse
à en crever les nues
à en crever d'envie
à en crever d'Amour.
Paris 1983
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Rencontre avec Jacques Stephen ALEXIS
Jacques, t'en souvient-il ? Nous étions à minuit. Le mois était Décembre, et l'an, quarante-six.
Nous marchions en silence. Il faisait lune et doux.
Les tambours dormaient et Port-au-Prince frissonnait.
Un requin glissait dans la rade. La Gonave s'allongeait sur les flots. Nous venions de quitter St-Amand et Depestre. Tu as murmuré :
"... Les peuples sont des arbres. Ils fleurissent à la belle saison..."
Jacques, t'en souvient-il ? Nous étions à minuit.. et nous avions vingt ans!...
En cet instant de notre rencontre avec l'adolescence, il est encore minuit. Je m'aperçois que 44 ans ont coulé. Seulement 44 ans !
Le hasard est-il aussi au-rendez-vous, en ce jour d'aujourd'hui, 4 Novembre 1990 ?
Je viens, à cette minute même, d'atteindre ma soixante-quatrième année! Je me sens pourtant plein d'une tranquille jeunesse... Parle-rais-je à mon tour d'arbres, de printemps, de sève ? De cette sève - toujours en moi - de nos "Cinq Glorieuses", de notre "La Ruche", de l'exil ?...
Je sais bien pourtant qu'il n'est plus aujourd'hui qu'automne, et que les feuilles tombent...
Arbre ?
Je m'en sens vraiment ce côté végétal. Ce besoin de terre, de racines, d'écorce, de feuillage, d'ombre et d'humide affection.
"... Les peuples sont des arbres..."
Nous avons tous ce côté végétal. Ce besoin d'être bourgeons. De fleurir. D'éclore. Ce besoin de pépiements d'oiseaux. Ce besoin de couleurs fondantes, au petit jour frisquet, à peine teinté d'aurore.
Les peuples sont des arbres qui fleurissent à la saison d'amour. Les hommes sont des arbres aux bras géants de rêves, aux bras ouverts d'espoir, aux bras de nues, de vents, d'orages...
Nous avons tous ce côté végétal, buissons, épines, bois morts des souvenirs, souches rétives aux socs des tourments.
La mémoire est là.
La mémoire.
Incassable.
Coeur de hêtre, de chêne, de mapou, de gaïac.
La mémoire "indéchoukable", feuillue d'Histoire et de saisons...
4 Novembre 1990
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